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DEUXIÈME JOUR

plusieurs d’entre nous ; moi-même je ne pus empêcher mes larmes de couler. Accablés de douleur et d’affliction nous gardâmes un profond silence quoique personne ne nous eût défendu de converser. Par surcroît, les cordes étaient tressées avec un tel art que personne ne put les couper et moins encore les dénouer et les retirer de ses pieds. Je me consolais néanmoins en pensant qu’une juste rétribution et une grande honte attendaient beaucoup de ceux qui goûtaient le repos tandis qu’il nous était permis d’expier notre témérité en une seule nuit.

Enfin, malgré mes tourments je m’endormis, brisé par la fatigue ; par contre la majeure partie de mes compagnons ne put trouver de repos. Dans ce sommeil, j’eus un songe ; quoiqu’il n’ait pas une signification importante je pense qu’il n’est pas inutile de le rapporter.

Il me semblait que j’étais sur une montagne et que je voyais s’étendre devant moi une large vallée. Une foule innombrable était assemblée dans cette vallée, et chaque individu était suspendu par un fil attaché sur sa tête ; ces fils partaient du ciel. Or, les uns étaient suspendus très haut, d’autres très bas et plusieurs étaient sur la terre même. Dans les airs volait un homme tenant des ciseaux à la main et coupant des fils de-ci et de-là. Alors ceux qui étaient près du sol tombaient sans bruit ; mais la chute des plus élevés fit trembler la terre. Quelques-uns eurent la bonne fortune de voir le fil descendre de sorte qu’ils touchèrent le sol avant qu’il ne fût coupé.

Ces chutes me mirent en gaieté ; quand je vis des présomptueux, pleins d’ardeur pour assister aux noces, s’élancer dans les airs, y planer un long moment, puis tomber honteusement en entraînant du même coup quelques voisins, je me réjouis de tout mon cœur. Je fus heureux également quand l’un des modestes qui s’était contenté de la terre fut détaché sans bruit, de sorte que ses voisins même ne s’en aperçurent point. Je goûtais ce spectacle avec le plus grand contentement, quand un de mes