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auquel elle avait appartenu, auquel elle tenait par l'entant qu'elle portait dans ses entrailles, sur le point d'être saisi et jeté en prison, il est vraisemblable que Jane sentit se réveiller en elle son attachement ou du moins de la pitié. Elle eut horreur de perdre celui qui, pendant quelques jours, avait été son époux. Elle le fit prévenir secrètement. On sent dans la lettre que ce trait de dévouement et d'amitié a presque réconcilié Burns avec celle qui lui avait meurtri le cœur et attristé sa vie. Il y a là comme la reconnaissance d'un service rendu et un ton de pardon, un retour vers l'infidèle. Et, du même coup, ces lignes con- tiennent peut-être le sort de la pauvre Mary Campbell.

Le lendemain même de cette lettre, le 31 juillet 1786, paraissaient les poèmes, un humble volume de deux cents pages, avec sa grossière couverture de papier bleu, son papier rugueux et ses caractères lourds. Il portait comme titre: Poèmes, principalement en dialecte écossais, par Robert Burns, et comme épigraphe, quatre vers qui indiquaient que l'auteur avait une appréciation exacte de son mérite. Il commençait par une préface dans laquelle on sent une attente pleine de confiance et de fierté. Elle mérite d'être lue entière et avec soin ; il est impossible, dans des conditions si singulières et si difficiles, de se présenter avec plus de tact, de simplicité et de dignité :

Les bagatelles suivantes ne sont pas la production d'un poète qui, avec tous les avantages d'un art savant, et peut-être au milieu des élégances et des loisirs de la vie riche, abaisse ses regards pour chercher un thème rural, en songeant à Théocrite et à Virgile. Pour l'auteur de ceci, ces noms et d'autres noms célèbres, leurs com- patriotes, sont, dans leur langage original, une fontaine fermée et un livre scellé. Dépourvu des conditions nécessaires pour se mettre poète par règles, il chante les sen- timents et les mœurs qu'il a ressentis et vus, en lui-même et dans ses compagnons rustiques autour de lui, dans son langage natif et dans le leur. IJien qu'il fiit Kimeur depuis ses plus jeunes années, ou du moins depuis les premières impulsions des pas- sions tendres, ce n'est que très récemment que les applaudissements, peut être la par- tialité de l'Amilié, ont éveillé sa vanité jusqu'à lui faire penser que quelque chose de lui valait la peine d'être montré ; aucune des productions suivantes n'a été composée avec la pensée qu'elles pourraient être imprimées. S'amuser des petites créations de sa propre imaginalion, parmi le travail et les fatigues d'une vie laborieuse; transcrire les sentiments divers, les amours, les chagrins, les espoirs, les craintes, de sa propre poitrine ; trouver une sorte de contrepoids aux luttes du monde, scène toujours anti- pathique et tâche toujours malaisée à l'esprit poétique ; tels furent ses motifs pour courtiser les muses, et il a trouvé que la poésie est sa propre récompense.

Maintenant qu'il apparaît dans le personnage public d'un auteur, il le fait avec crainte et tremblement. La renommée est si chère à la tribu des rimeurs, que même lui, poète obscur et sans nom, recule et pâlit à la pensée d'être traité « comme un sot impertinent qui impose de force ses balivernes au monde et, parce qu'il sait faire tinter quelques mauvaises rimailles écossaises, se considère comme un poète et non de peu d'importance, en vérité. -^

C'est une observation de ce célèbre poète, dont les divines Élégies font honneur à