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drame, ni de l'histoire. De nos jours encore, deux des plus grands poètes de l'Angleterre , Tennyson et Swinburne, ont repris le sujet qui avait tenté Burns. Peut-être peut-on rapporter la romance qu'il a composée sur les plaintes de Marie Stiiart au drame qu'il entrevoyait.

C'étaient là de beaux sujets et une grande ambition. C'était en même temps une tentative qui aurait probablement été au-dessus de ses forces. C'est qu'il n'y a pas pour le génie humain de plus haute entreprise qu'un drame historique, nous voulons dire un drame véritablement historique. Un auteur peut mettre dans la bouche de personnages illustres ses propres sentiments, et les leur faire déclamer avec éloquence. C'est faire un drame politique ou social, c'est faire œuvre d'apôtre ou de réforma- teur, comme Âlfieri ou Schiller ; cela est loin du drame historique. Ou bien il peut rencontrer dans les faits de l'histoire une situation dramatique, s'en emparer, et y faire mouvoir, sous des figures célèbres, des passions humaines. C'est faire un drame psychologique, oii il n'y a d'historique que les décors et les costumes. Le drame historique est autre chose. Il est plus complexe et plus profond. Il faut que les personnages, outre leurs sentiments particuliers, dont le choc constitue le drame, y agissent réellement en personnages historiques, et que leurs actions soient liées à des mouvements plus vastes, sans quoi on n'aura qu'une pièce découpée dans l'histoire, et non pas une pièce historique. Il faut qu'ils soient emportés par des événements politiques, ou qu'ils les déterminent ; qu'ils en soient, les uns les jouets, les autres les instruments ; et qu'on perçoive le rapport entre cette mêlée de passions humaines, sans lesquelles il n'y a pas de théâtre, et des faits plus vastes. Le drame humain, qui reste au premier plan, sert d'expression à un second drame plus grandiose qui gronde au loin. Celui-ci est comme un écho puissant*, dont le bruit rape- tisse la voix qui l'a éveillé, et, du même coup, en élargit la portée. Comme cela augmente les proportions du drame, qu'il faut ainsi hausser à la dignité d'un fait historique ! Et quelle difficulté pour créer des person- nages réels 1 S'il s'agit des grands, il faut comprendre des êtres que leur condition rend inaccessibles aux observateurs ordinaires, formés par une éducation spéciale, et gouvernés par des intérêts sans analogues. S'il s'agit d'hommes d'État, il faut atteindre des âmes qui, par leur hauteur, ont dominé les autres , et vis-à-vis desquelles il faut , eu plus que la sympathie des passions, une intelligence capable de comprendre et de reconstituer la leur. Si ce sont des héros, il faut ressentir ce que des âmes choisies ont éprouvé dans des moments sublimes oii elles-mêmes n'ont peut-être séjourné que quelques instants. Il faut qu'au-dessus de l'intérêt inspiré par ces caractères, le poète place un intérêt général, supérieur, qui est comme l'intérêt de l'histoire, et la part qu'elle ajoute au drame. Il faut, selon la phrase d'un historien de Shakspeare, que « derrière les personnages dont il trace le portrait, grands seigneurs ou