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ardente pour fondre tout un être dans une expression intangible ^ . C'est l'indice d'un amour très spiritualisé et très intellectuel. Burns a éprouvé, presque à l'égal de Henri Heine , cette tyrannie du regard , et il y a certaines pièces de lui qu'on ne serait pas étonné de rencontrer dans le Retoîir ou le Nouveau Printemps. On peut citer une de ses premières pièces oîi déjà ce goût du regard se révèle. Elle est un peu longue, mais elle est aussi intéressante par une suite de comparaisons naturelles dont quelques-unes sont exquises et dont d'autres font penser à celles du Cantique des Cantiques.

Sur les rives du Gessnock vit une fillette ; Si je pouvais décrire sa fortune et son visage ;

Elle surpasse de loin toutes nos fillettes, Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Elle est plus douce que l'aube du matin,

Quand Phœbus commence à se montrer,

Et que les gouttes de rosée brillent sur les gazons ;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Elle est droite comme ce jeune frêne

Qui se dresse entre deux pentes couvertes de primevères.

Et boit le ruisseau, dans sa fraîche vigueur;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Elle est sans tache comme l'épine épanouie.

Avec des fleurs si blanches el des feuilles si vertes,

Quand elle est pure dans la rosée matinale ;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Son air est comme le mai vernal,

Quand Phœbus brille sereinement, le soir.

Quand les oiseaux se réjouissent sur toutes les branches ;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux,

^ Cette souveraineté du regard dans les amours idéalistes, où l'élément intellectuel est prévalent, apparaît très clairement dans Pétrarque. On peut lire ses sonnets xxxu et XLvn, dans les Sonnets et Canzones pondant la vie de Madame Laure^ et surtout les canzones vi. Il fait grand éloge des yeux de Laure et avoue la difficulté qu'il y a à les louer ; vu, Les yeux de Laure s'élèvent à contempler les chemins du ciel ; vin, Il trouve tout son bonheur dans les yeux de Laure et proteste qu'il ne cessera jamais de les louer. On y rencontre des passages qui rappellent quelques-uns de ceux de Heine : « Beaux yeux, où Amour fait son nid, c'est à vous que je consacre mon faible style. . . Principe de mon doux martyre, je sais bien que personne autre que vous ne me comprend. . . Je ne me plains pas de vous, ô yeux plus doux qu'aucun regard mortel, ni d'amour qui me tient ainsi lié » (Canzone vi). — <( Ma gente Dame, je vois, dans le mouvement de vos yeux, une douce lumière qui me montre la voie qui conduit au ciel ; et par suite d'une longue habitude, je vois à travers eux, où j'habite seul avec Amour, reluire quasi-visiblement votre cœur. . . Depuis ce jour, j'ai été content de moi, emplissant d'une haute et suave pensée, ce cœur dont les beaux yeux de Laure ont la clef. . . . Brillantes, angéliques, heureuses étincelles de ma vie, où s'allume le plaisir qui doucement me consume et me ronge, de même que disparaît et fuit toute autre lumière là où la vôtre vient à res- plendir, ainsi, quand une si grande douceur y descend, toute autre chose, toute autre pensée sort de mon cœur, et seul Amour y reste avec vous. . . Aussi combien il me fait tort, le voile et la main qui se mettent si souvent entre mon suprême plaisir et les yeux d'où, jovrr et nuit, découle le grand désir apaisant mon cœur, dont l'état varie selon l'aspect de Laure. » [Canzone vu). — {Traduction Francisque Reynardj.