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Oh ! savez-vous qui est dans cette ville,

Sur laquelle vous voyez le soleil couchant ?

La plus belle dame est dans cette ville

Sur laquelle brille le soleil couchant '.

Il y a, dans cette allée un peu écartée de son œuvre, des pièces qui font penser à Henri Heine, à certains côtés de Henri Heine. On suppose, en effet, qu'il est inutile de marquer les différences; il n'a ni la saisissante étrangeté d'images, ni raffinement d'une souffrance toujours à vif, ni l'exquise douceur amère du poète allemand. Ses abeilles n'ont pas voltigé sur les noires absinthes ; leur miel est plus simple. Cependant, il y a chez lui un sentiment assez troublant et raffiné qui se trouve à un haut degré dans Heine. Celui-ci , au-delà de tous les poètes, a éprouvé la sensation d'emporter en soi le regard de la bien-aimée, le malaise d'être hanté par des yeux chers et cruels, ce qu'il y a de douloureux dans leur insistance implacable et caressante. « Tes grands yeux de violette je les vois briller devant moi, jour et nuit; c'est là ce qui fait mon tourment; que signifient ces énigmes douces et bleues ^ »? H les retrouve partout. Les étoiles sont les chers et doux yeux de sa bien-aimée qui veillent sur lui, qui brillent et clignotent du haut de la voûte azurée 3. 11 a écrit sur eux ses plus beaux canzones , ses plus magnifiques stances * et des milliers de chansons qui ne périront pas ^. Et, de fait, il n'y a guère de place oîi il n'en parle : « les doux yeux de mon épousée, les yeux couleur de violette ; c'est pour eux que je meurs ^ ». — « Avec tes beaux yeux, tu m'as torturé, torturé, et tu me fais mourir ' ». Cette obsession et ce tourment du regard féminin , si caractéristique de Henri Heine, et que Pétrarque avait déjà connu quand il parlait de « ces beaux yeux qui tiennent toujours en mon cœur leurs étincelles allumées ; c'est pourquoi je ne me lasse point de parler d'eux * » esl bien le fait d'un raffiné. Cet appel de tout un être dans les yeux, cette faculté d"y attirer ce qu'il y a de plus précieux dans une âme et de résumer une personne en un regard, au point d'en souffrir, d'en mourir même, n'appartient qu'à des hommes qui vivent d'une pensée assez

1 wai ye wha's in yon Town.

2 Henri Heine. Le Retour, xxx.

3 Id. Mer du Nord. Dans la cabine. Pendant la nuit.

4 Intermezzo, xiii. ^ Le Retour, lvi.

6 Soclurnes. Le Chevalier Olaf.

' Le Retour, lvi.

8 Pétrarque. Sonnets et canzones pendant la vie de Madame Laure. Sonnet XLVii, (Traduction de Francisque Reynard).