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pays qu'il a habité *. Il n'y a rien de semblable dans Burns. Autant sa représentation de la vie humaine abonde en mille détails écossais de costumes, de mœurs, de préjugés, autant sa représentation de la nature est dégagée des éléments purement locaux. A part les termes de terroir, qui trahissent le pays par le dialecte, à part les noms propres, qui désignent les localités, il serait difficile, par ses seules peintures, de préciser les sites qui les ont inspirées. Il choisit parfois, il est vrai, des traits propres à sa contrée et qui ne peuvent être bien compris que par ceux qui l'ont visitée. Il parlera des « moors d'un rouge brun, sous les clochettes de bruyères ^ » ; il représentera la teinte rougeâtre parti- culière que prennent les ruisseaux écossais lorsqu'ils sont gonflés par la pluie, les détours des petites rivières caillouteuses, bordées de noise- tiers. Ce sont là des indices plutôt que des tableaux. Outre que ces traits sont communs à toute une région et pourraient s'appliquer à une grande partie de l'Ecosse, ils sont rares et trop rapides. On chercherait vainement en lui une de ces descriptions particulières et détaillées , telles qu'on en rencontre dans Wordsworth et dans Cowper, et qui, lues à tel endroit, s'encadrent exactement dans l'horizon, s'appliquent à tous les points, et semblent le calque du paysage qu'on a sous les yeux. Il y a, au commencement du Sofa, \ine vue de Weston, si précise qu'on pourrait envoyer un voyageur à sa recherche, un Cowper à la main. Lorsqu'il arriverait au sommet de la colline de Weston-Park et qu'il découvrirait rOuse errant lentement dans une plaine unie, parsemée de troupeaux, le groupe d'ormeaux qui abritent la hutte solitaire du berger, la plaine coupée de haies qui va se perdre dans les nuages, la tour carrée de Clifton, le haut clocher d'Olney, les villages d'Emberton et Steventon qui fument au loin, par delà des bouquets d'arbres et des bruyères, il pourrait s'écrier: « C'est ici ^ ». Une pareille expérience serait impossible avec Burns. Ses descriptions, justes sans doute pour les endroits qu'elles désignent, pourraient s'appliquer aussi bien à heaucoup d'autres.

C'est qu'en effet il n'a pas laissé de ces importantes peintures de sites, de ces tableaux si complets, si poussés jusqu'au détail, si séparés du reste, et parfois si inutiles au reste, si faits en vue d'eux-mêmes, qu'on pourrait, pour ainsi dire, les détacher et les isoler dans un cadre oii ils formeraient un tout. On ne trouverait pas, chez lui, un seul de ces passages qui rapprochent l'écrivain du peintre, et font de bien des poèmes modernes des galeries de paysages. Il y a telles descriptions poétiques qu'on transposerait facilement sur la toile ; il suffirait de les copier pour en avoir la transcription en couleurs et en lignes. Cela serait, avec lui,

1 Ce travail a été fait. Voir the English Lake District as interpreled in the Poems-of Wordsworth, by William Enight.

2 Epistle to William Simpson.

3 Cowper. The Sofa, vers 160-180.