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C'est dans ces observations minutieuses des faits intimes que se décou- vrent, sinon le sentiment, du moins la connaissance et la fréquentation assidue de la Nature. Pour rendre les grands espaces de terrain ou les grandes phases des jours et des saisons, il suffit d'un coup d'oeil d'artiste et d'un maniement suffisant de la langue. La surprise de la campagne peut quelquefois en remplacer l'intimité, et l'enthousiasme des premières rencontres arracher des accents plus vifs que la calme douceur d'une longue amitié. Mais lorsqu'il s'agit de pénétrer dans le détail , de démêler les mille sons dont est faite l'harmonie des champs, de percevoir les symptômes légers qui précèdent les mouvements atmosphériques ou plutôt qui en font déjà partie et en sont comme la frange ; lorsqu'il s'agit déposséder les habitudes et les préférences des plantes, leurs heures, leurs endroits et leur saison, les coutumes et les habitats de tant d'oiseaux et d'animaux, on entre dans une étude immense. Une vie humaine y suffit à peine. Wordsworth y a consacré la sienne, avec l'assiduité d'un savant, pendant les trois quarts d'un siècle. Chaque jour il a examiné la nature ; il en a fait son occupation unique ; il est arrivé à en avoir une merveilleuse connaissance. C'est avec Burns le poète moderne ([ui l'a observée le plus directement et le plus intimement connue. Mais il l'a regardée, pour ainsi dire, en faisant un choix; cherchant en artiste ses effets rares et nouveaux à interpréter en moraliste. 11 la voyait à travers la double préoccupation du pittoresque et de la parabole, en extrayant de préférence ce qui était beau ou instructif. Aussi ses observations ont toujours quelque chose d'épuré. Elles semblent avoir été prises moins pour elles-mêmes que pour leur éclat ou la leçon qu'elles contiennent.

Il n'en est pas ainsi de celles de Burns. Il a, bien entendu, cette connaissance complète de la campagne, mais elle lui vient moins d'une observation voulue que d'une fréquentation constante. Il la possède parce qu'il a vécu avec elle, qu'il l'a travaillée de ses propres mains, arrosée de sa sueur, surprise à toutes ses heures. Il est familier avec ses mille aspects et ses mille voix, mais sans s'être donné la tâche de le devenir. Sa façon de la voir est plus simple et plus désintéressée. Il n'y recherche ni les tableaux brillants, ni les comparaisons éloquentes. Ce n'est pas un artiste qui l'étudié, c'est un paysan qui la cultive ; les faits le frappent, non parce qu'ils sont curieux, mais parce qu'ils sont ordi- naires. Ce qui l'attire dans les choses, ce n'est pas leur pittoresque, mais leur réalité, leur importance au point de vue de la vie rurale, la place qu'ils y tiennent ; le pittoresque ne vient qu'à la suite et par surcroît. On comprend qu'il y a, dans cette façon de voir la campagne, quelque chose de moins éclatant et de moins subtil ; mais de plus solide, de plus ferme et de plus pratique. La plupart du temps, Burns fait des descriptions sans s'en douter ; il n'a été préoccupé (jue de