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la poésie moderne. Biirns peut-il compter parmi les poètes qui, depuis un siècle, l'ont si minutieusement décrite et si richement, l'ont tellement explorée, qu'ils ont pénétré, par des sentiers non foulés, jusqu'à des sources nouvelles ?

On entend assez souvent dire qu'il a contribué au mouvement (jui a ramené l'homme vers la nature ; on le voit cite à côté de Cowper et de Wordsworth. C'est, à nos yeux, une de ces erreurs qui se glissent dans les histoires littéraires, et finissent par s'y enraciner si fortement qu'on ne peut plus les en arracher. Rien n'est plus opposé au sentiment de la nature, tel qu'il a prévalu de nos temps, que celui de Burns. Toutefois la preuve en est plus faible à concevoir qu'à fournir, car elle suppose une étude du sentiment de la nature dans la poésie anglaise moderne. Ce sentiment est quelque chose de complexe et de difficile à déchiffrer. Il est formé de cou- ches superposées, qui vont de l'écorce au cœur de la Nature, et de la plus délicate observation artistique à la plus grandiose généralisation philoso- phique. Il s'en faut que tous les poètes le possèdent en entier: quelques-uns plus peintres ne sont sensibles qu'aux phénomènes; d'autres, plus penseurs ne songent qu'à la grande vie centrale et perdent les manifestations de la surface; d'autres plusmoralistesse placententre les deux et cherchent dans les faits des rapports, des analogies avec l'àme humaine et parfois des leçons et des paraboles; quelques-uns, les plus grands, réunissent tout cela ^ . Il est

' On peut négliger, dans une étude du sentiment moderne delà Nature, la parabole qui est plutôt morale, et, dans ses formes les plus hautes, religieuse. Elle est affectée par le développement du sentiment de la Nature, en ce que celui-ci, en étendant l'obser- vation et la connaissance des phénomènes, lui fournit des points de comparaison et de méditation plus nombreux et plus variés. Elle peut l'affecter de son coté en ce qu'il lui arrive d'étudier la Nature pour trouver des objets .nouveaux par quoi frapper les esprits. Elle se contente le plus souvent d'illustrations familières et connues. Mais elle ne s'occupe pas de la Nature elle-même. Bossuet l'a magistralement définie, et a bien indiqué la ten- dance d'interprétation morale qui la constitue. « Jésus-Christ nous apprend dans ce sermou admirable à considérer la nature, les fleurs, les oiseaux, les animaux, notre corps, notre âme, notre accroissement insensible, afin den prendre l'occasion de nous élèvera Dieu. 11 nous fait voir toute la nature d'une manière plus relevée, d'un œil plus perçant comme l'image de Dieu. Le ciel est son trône : la terre est l'escabeau de ses pieds : la capitale du royaume est le siège de son empire : son soleil se lève, la pluie se répand pour vous assurer de sa bonté. Tout vous en parle : il ne s'est pas laissé sans témoignage. " {Méditations sur r Evangile, xxxiv^ jour).

On peut voir dans Bossuet lui-mime comment la Nature s'introduit dans cette manière d'interpréter le monde et l'enrichit- Il n'y a pas, dans la poésie moderne, de page plus admirable, plus précise, on dirait presque plus moderne, si ce mot avait un sens en face delà beauté éternelle, que ce passage qui éclate en plein XYil"^ siècle. Il est bon de le lire, ne fût-ce que pour se garder des affirmations absolues : « Le soleil s'avançait et son approche se (aisait connailve par une céleste blancheur qui se répandait de tous côtés : les étoiles étaient disparues, et la lune s'était levée avec son croissant d'argent si beau et si vif que les yeux en étaient charmés. Elle semblait vouloir honorer le soleil en paraissant claire et illuminée par le côté quelle tournait vers lui : tout le reste était obscur et ténébreux ; et un petit demi-cercle recevait seulement dans cet endroit-là un ravissant éclat par les rayons du soleil, comme du père de la lumière. Quand il la voit de ce côté, elle reçoit une teinte de lumière : plus elle la voit, plus sa lumière s'accroît : quand il la voit tout entière, elle est dans son plein, et plus elle a de lumière, plus elle fait honneur à celui d'où elle lui vient. Mais voici un nouvel hommage qu'elle rend à soti céleste illuminateur. A mesure qu'il approchait, je la voyais disparaître ; le faible