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Personne n'a su comme lui dégager le génie des lieux. Depuis, les poètes s'y sont appliqués, et le monde a été presque aussi minutieusement interprété que décrit. Il en est résulté, dans la poésie moderne, les éléments d'une sorte de psychologie de la Nature. Elle est probablement destinée à rester vague comme les existences dont elle s'occupe. Pour les animaux toutefois elle est plus facile, et pour quelques-uns, comme dans l'alouette de Shelley ^ et le rossignol de Keats 2, elle semble presque achevée. Il est à peine utile d'ajouter que cette tendance, comme tant d'autres, existait vaguement, et que les poètes, entre autres ceux de la Renaissance, avaient déjà saisi bien des traits moraux de la Nature. Mais , sauf Milton dont la familiarité avec elle est exquise , ils le faisaient tous avec moins de soin et d'exactitude. Cowper avait bien le sentiment de cette influence morale, mais il ne l'a jamais appliqué. Ses descriptions ne sont individuelles que pour la partie pittoresque ; il ne sait pas la signification particulière des sites. C'est la gloire de la poésie moderne d'avoir étendu, approfondi, précisé dans tous les sens cette interprétation, et d'avoir animé le monde de joies, de tristesses, de luttes, d'efforts, d'amours, de rêves, d'innombrables ressemblances ou tout au moins d'innombrables analogies avec l'âme humaine.

A la vérité, il y a bien encore quelque chose d'humain dans cette humanisation de la Nature. Nous n'y pouvons échapper, et c'est une des formes de notre limitation. Nous sommes bien obligés de juger des modes inconnus d'existence par le seul que nous connaissons, et de tout comprendre à travers des désignations humaines. Noirs faisons ici acte d'anthropomorphisme, non plus en prêtant notre vie à la Nature, mais en essayant de traduire pour notre esprit sa façon d'exister. C'est l'anthro- pomorphisme inévitable, la catégorie par laquelle il faut que passent toutes nos notions. Nous n'y pouvons échapper. Et, en tout cas, si nous sommes impuissants à exprimer par notre langage des conditions d'être différentes -des nôtres, nous sommes autorisés à l'employer pour traduire les relations des choses avec nous. Quelle différence avec le système précédent ! ^

Ici donc, quelque chose existe en dehors de nous et d'une façon perma- nente agit sur nous. L'école historique des milieux, dont les solutions sont encore si enfantines par leur simplicité et leur naïve assurance, ne repose- t-elle pas presque entièrement sur cette idée d'une expression et d'une influence morale des lieux ? Mais elle semble ignorer tout le travail de la

1 To a Skylark.

2 Ode lo a Nightingale.

3 Les pages de Ruskin sur la (c Pathetic fallacy » ont, ce nous semble, le tort de no pas assez marquer la différence très grande enirelesdeux modes d'humanisation de laNature que nous essayons d'exposer. Elles les confondent presque. On se demande comment Ruskin peut éviter que ce qui est, selon lui, « la plus haute puissance intellectuelle de l'homme >), !'« Imagination pénétrative» qui » voit le cœur et la nature intime des choses >), qui « veut tenir les choses par leur cœur />, ne tombe sous le coup de la « pathetic