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moments sont plus ou moins éloignés de leur idéal d'existence ^ Ainsi, la Nature est pleine d'expressions individuelles ou collectives. Et celles-ci se niodilient avec les saisons, les heures et les températures. Une nuit de gel cause bien d'autres angoisses que |)armi les hommes attardés. Il y a des coups de vent f|ui, balayant un paysage et affligeant les arbres, les fleurs, les oiseaux, le transforment en une véritable scène de souffrance, et y éveillent un chœur douloureux, où chacun, à sa façon, les uns en poussant des cris, les autres en contractant leurs feuilles, se j)laint de sa souffrance. Il y a partout dans la Nature un élément moral et dramatique, indépendant de nous.

Nous trouvons donc quelque chose en face de nous. Il peut y avoir de véritables rapports , un véritable commerce entre l'homme et la Nature. Il y a une réalité qui les soutient et en fait autre chose qu'un vain mirage de nous-mêmes. L'expression des choses n'est pas le simple reflet des émotions que nous apportons devant elles. II y a là une vaste sensibilité à connaître, à étudier, à pénétrer. La Nature ne fait pas que répéter ce que nous disons ; elle a quelque chose k nous enseigner ; elle sait nous contredire et, si nous allons à elle découragés et las, elle nous répond quelquefois qu'il faut être patient, et de bon espoir. C'est par ce carac- tère indépendant de nous qu'elle a prise sur nous, qu'elle agit sur nous. De Là découlent ses vertus salutaires et guérissantes.

Il est hors de doute que cet élément moral donne aux représentations de la Nature un sens, une portée que là description purement pittoresque ne saurait fournir. Il suffit, pour comprendre toute la différence, de com- parer deux paysages, l'un décrit avec, des épithètes matérielles, l'autre, avec des épithètes morales, et de comparer, par exemple, une page de Théophile Gautier à une page de Michelet. Quand elle s'appuie sur un fond solide et exact de traits matériels, cette touche intellectuelle donne aux scènes de la Nature une profondeur, un charme, et une éloquence qui font paraître insiguitiantes et inertes les représentations auxquelles manque cette lueur intime.

Pour discerner le caractère habituel et les émotions accidentelles des choses, il faut une pénétration singulière : une longue étude morale de la Nature, et un don pareil à celui qu'ont les peintres de discerner l'ex- pression d'un visage. Ce don, Wordsworth et Shelley l'ont possédé à un haut degré. Wordsworth surtout a étudié avec une admirable délicatesse, sensible

Aux humeurs

De l'heure et de la saison, au pouvoir moral,

Aux affections et à l'esprit des endroits 2.

1 Voir les articles de M. Thoulet sur la vie des minéraux, dans la Revue Scientifique. - "Wordsworth. The Prélude, Bock xn.