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poésie moderne. Elle ne pourra obtenir de résultats que lorsque l'analyse, infiniment complexe, longue et délicate des caractères des sites, et en même temps l'étude aussi difficile de leur mystérieuse domination, auront été poussées assez loin pour permettre de discerner l'autorité ou la séduction d'un site particulier, et la façon dont il a parlé à tel esprit. Il y a là un travail immense que la poésie a commencé à peine, et dont la science ne semble pas se douter. Lorsqu'il sera achevé, alors seulement la théorie des milieux qui, par suite de la variété des sites et des esprits, ne peut être qu'une série d'applications très complexes et tout à fait individuelles, et qui se complaît jusqu'à présent dans des solutions générales, des simplifications, qui sont sa négation même, donnera des résultats. La seule tentative qui ait été faite dans cette direc- tion est le Prélude de Wordsworfh, cette merveilleuse autobiographie, cette histoire de la formation d'un esprit poétique, oii sont notés les

iallacy ». Quelques-uns des exemples qu'il donne d' « Inaagination pénélrative » pour- raient être cités comme exemples de u pathetic fallacy 'i, et inversement. Il donne comme de très heaux spécimens de la première le vers de Milton :

Avec des pâles primevères qui penchent leur tête pensive.

et les vers de Shakspeare dans :

Les asphodèles Qui viennent avant les hirondelles, et séduisent Les vents de mars par leur beauté. Les violettes somires. Mais plus douces que les paupières des yeux de Junon, Ou l'haleine de Cythérée ; les pâles primevères Qui meurent sans être mariées, avant qu'elles puissent voir Le brillant Phœbus, dans sa force, maladie Très propre aux jeunes filles. Et il ajoute : « Observez comme, dans ces derniers vers, l'imagination pénètre au fond de l'âme de chaque fleur » (Modem Painters, Part. m. Section ii. Chapter m. Of Imagination Peneirative). Mais cette pénétration ne peut se faire que parce que l'esprit humain entre dans les choses et y dépose un peu de lui-même. 11 fait des conjec- tures sur elles au moyen de ses passions et en son propre langage. Si l'on veut éviter cela, il n'y a que le silence. On est étonné, d'autre part, lorsqu'on lit les pages sur le i( pathetic fallacy » , de trouver comme exemples de ce défaut, des images du genre de celles qu'on vient d'admirer comme exemples d' « imagination pénétrative ». Ainsi ces vers de Kingsley :

Ils l'emportèrent, ramant, à travers l'écume roulante, La cruelle, la rampante écume. Ou ceux de Tennyson ;

Le vent, comme un mondain déchu, gémissait, Et l'or volant des bois minés était emporté à travers l'air.

{Modem Painiers, Part. iv. Chap. xii). L'écart n'est pas très grand entre ces personnifications. D'ailleurs, il est impossible de faire dix pas dans l'œuvre de Ruskin lui-même sans rencontrer des cas de ^ pathetic fallacy ». Décrivant la vieille tour de l'église de Calais, il parle de son « insouciance de ce qu'on pense ou de ce qu'on ressent sur elle », « elle ne demande pas pitié » ; elle continue son travail quotidien et se tient debout sans se plaindre de sa jeunesse passée ». La vraie différence entre ces deux modes d'humanisation est donc que dans le premier, la « pathetic fallacy », les choses s'occupent de l'homme ; et que, dans le second, l'homme s'occupe des choses et essaye de pénétrer leur vie; dans le premier, la sympathie vient à lui, dans le second elle sort de lui. Une seule remarque fera sentir ce qu'il y a d'humain dans l'imagination pénétrative. M. Ruskin, qui est si strict pour la vérité scientifique et qui lui est si souvent fidèle, aurait du se souvenir que les «têtes pensives » que penchent si gracieusement les pâles primevères de Milton ne sont en réalité antre chose que des organes de reproduction.