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dans une stupeur insensible, silencieux, sombre, comme la femme de Loth, changée en sel dans la plaine de Gomorrhe. Mais c'est surtout mon second paroxysme qui rend pauvre toute description. La débâcle de l'Océan arctique quand le retour du soleil dissout les chaînes de l'hiver et, détachant des montagnes de glace longuement accumulée, bouleverse avec des craquements affreux l'abîme écumant ; des Images comme celle-là donnent une faible idée de ce qu'était la situation de mon âme. Mes facultés enchaînées, tout d'un coup lâchées, mes passions affolantes sélevant à une décuple fureur, passèrent par dessus leurs rives, avec une force impétueuse, irrésistible, balayant devant elles tous les obstacles et tous les principes. La Prudence était un appel inaperçu dans l'ouragan qui passe ; la Raison un élan bramant dans les tourbillons du Maelstrom, la Religion un castor se débattant faiblement dans les chûtes rugissantes du Niagara. Je reniai le premier moment démon existence; j'exécrai la faiblesse et la folie d'Adam pour ce présent, agréable à l'œil, mais exhalant le poison , qui l'avait ruiné et m'avait perdu ; je suppliai les flancs de la nuit inanimée de se refermer sur moi et tous mes chagrins.

Une tempête naturellement se dissipe en soufflant. Mes passions épuisées retom- bèrent graduellement en un calme blafard et, par degrés, je suis rentré dans le chagrin assoupi par le temps d'un homme veuf qui, essuyant les pleurs décents, relève ses yeux usés par le chagrin pour chercher — une autre femme.

Tel est l'état de l'homme; aujourd'hui bourgeonnent sur lui

Les tendres feuilles de son espérance ; demain, il fleurit

Et il porte sa parure empourprée, abondante, sur lui ;

Le troisième jour arrive une gelée, une gelée meurtrière

Qui mord sa racine et alors il tombe comme moi i.

Telle est, Monsieur, cette ère fatale de ma vie. i' Et il arriva que comme j'attendais la douceur, voici l'amertume ; et comme j'attendais la lumière, voici les ténèbres ^ «.

Mais ce n'est pas tout. Déjà les bassets saints, la meute à fornication, commencent à quêter la voie et je m'attends à chaque instant à les voir lâchés et à les entendre derrière moi donner de la voix. Mais comme je suis un vieux renard je leur donnerai des détours et des ruses et , bientôt, j'ai l'intention d'aller me terrer dans les montagnes de la Jamaïque.

C'est qu'effectivement la Kirk-Session avait déjà vent de toute l'aven- ture. Rien ne donne la sensation directe de la rapidité d'information et de l'inquisition de ces singuliers tribunaux comme les procès-verbaux oii sont enregistrées les diverses phrases de l'histoire de Burns et de Jane Armour. Ce fut notre bonne fortune d'arriver à Mauchline au moment où le ministre de la paroisse, le Révérend Edgard, préparait ses études sur la vie reli- gieuse en Ecosse ; et c'est un de nos bons souvenirs que le soir oii, après avoir entendu une de ses substantielles conférences sur tout ce vieux monde disparu, nous découvrîmes, en feuilletant avec lui ces cahiers jaunis, ces

1 Ce sont les vers fameux de Wolsey. Shakspeare, Henri VIJI, acte m, scène ii.

2 Job, XXX, 2fi. Les citations de Burns ne sont pas toujours très fidèles. La phrase qui se trouve dans son texte est v' And it came to pass that when I looked for sweet behold darkness '. Le texte de la traduction anglaise est t' When I looked for good, then evil came unlo me, and when I waited fo.- light, there came darkness >i.