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Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/246

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les principes où elles ont racine, leur semblait brutale ou téméraire. Quelques-uns des plus distingués, comme Dugald Stewart dont la raison sérieuse ne s'offusquait de rien, Erskine dont la gaieté d'esprit se plaisait à tout, leDGregory dont la fougueuse et puissante intelligence s'en- tendait avec celle de Burns, d'autres encore, avaient pour lui une sympathie vraie et durable. Mais, la nouveauté usée, l'indifférence ne devait pas tarder à venir chez beaucoup, accompagnée selon les cas, de quelque fatigue, de quelque défiance, et peut-être même, de quelque dépit. I.ockhart, qui a vécu avec la plupart d'entre eux et recueilli leurs souvenirs, a rendu cette impression avec une force qu'aucun biographe de Burns ne peut espérer surpasser et que donne seul le contact direct des faits.

i' Il n'y a pas besoin d'un effort d'imagination pour se représenter ce que les sensations d'une troupe isolée de savants (presque tous clergymen ou professeurs) durent être en présence de cet étranger aux larges os, au front noir, au teint bruni, avec ses grands yeux étincelants, (jui s'étant d'un seul pas frayé son chemin parmi eux, en quittant le manche de sa charrue, manifestait, dans l'ensemble de ses manières et de sa conversation, une conviction parfaite que, dans la société des hommes les plus éminents de sa nation, il était exactement où il avait le droit d'être ; qui daignait à peine les flatter en laissant voir de temps en temps qu'il était flatté de leur attention ; qui, tour à tour, se mesurait tranquillement dans la discussion avec les esprits les plus cultivés de son temps ; battait les bons mots des causeurs les plus célèbres par de larges flots de gaieté imprégnée de toute la vie brûlante du génie ; étonnait des poitrines, habituellement enveloppées des triples plis de la réserve sociale, en les contraignant à trembler, quedis-je?à trembler visiblement sous la touche hardie d'un pathétique naturel ; et tout cela sans indiquer la moindre disposition à être mis au rang de ceux qui font profession d'amuser et qui consentent à être payés en argent ou en sourires, pour faire ce que les auditeurs ou spectateurs auraient honte de faire eux-mêmes s'ils en avaient le pouvoir. Ce qui, en dernier lieu, était probablement pire que tout le reste, c'est qu'ils savaient qu'il avait l'habitude d'égayer des sociétés qu'ils auraient dédaigné d'approcher, plus fréquemment encore que la leur, par une éloquence non moins magnifique, un esprit selon toute vraisemblance encore plus hardi, un esprit qui souvent, comme les supérieurs qu'il rencontrait sans alarme auraient pu le deviner, dès le commencement, et comme ils n'eurent bientôt plus besoin de le deviner, était dirigé contre eux-mêmes i ».

Quant à Burns, ses sentiments contenaient en suspension une quantité de petites désillusions et amertumes, imperceptibles en elles-mêmes, mais qui, en se déposant au fond de son ànie, devaient y former une lie de mécontentement et d'irritation.

Il avait trop de perspicacité pour ne pas percer d'un regard l'attention extraordinaire dont il était entouré. Il se rendait compte que c'était là une chose fragile et passagère, destinée à disparaître avec la nouveauté qui la produisait. Ces accueils, ces imitations, ces empressements autour

1 Lockhart. Life of Burns, p. 129-30.