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plus lourde et plus épaisse. Au lieu de s'arrêter de ce côté-ci de la gaîté, du côté léger et vif, elle la traversait, allait jusqu'à l'autre bord, oii commencent la pesanteur et la brutalité. Comme Burns faisait tout avec emportement et une sorte de bravade, comme il s'y dépensait de mille manières , ces soirées devaient être très préjudiciables à sa santé physique. D'autres dangers, qui se tiennent à l'écart de l'homme de sang- froid mais assaillent l'homme échauffé et troublé par la boisson, l'attendaient au sortir de la taverne. Les tentations et les vices ne manquaient pas à Edimbourg, qui était comme toutes les grandes villes. Fergusson nous a montré , sous les réverbères , ces femmes aux yeux alourdis et au visage triste qui connurent la beauté , fredonnant aux passants des refrains vicieux et les lettres de Théophrastus se plaignent du nombre des maisons « d'accommodation civile ^ ». Quelque grossières que fussent ces tentations, quelque hideuses même qu'elles apparaissent parfois quand le jour et la raison ont retrouvé leur clarté, dans la lueur douteuse de la nuit et de l'ivresse , elles sont toujours assez efficaces. Burns y fut conduit et s'y laissa prendre. L'ardeur de son tempérament et un peu aussi l'attrait, que l'éclat voyant et brutal dont se pare le vice exerce sur l'œil novice d'un campagnard , l'entraînement , l'exemple agirent sur lui. Héron, qui le connut très bien pendant cette période, a fortement marqué ces dessous de sa vie d'Edimbourg :

Malheureusement il arriva ce qui était naturel dans les circonstances extraordi- naires où Hurns se trouva placé. Il ne sut pas assumer assez de froideur pour rejeter la familiarité de tous ceux qui, sans attachement sérieux pour lui, l'entouraient d'importunités. pour obtenir sa connaissance et son intimité. 11 fut insi'nsiblement conduit à s'associer, moins avec les hommes savants, austères et dune tempérance rigoureuse, qu'avec les jeunes , avec les sectateurs de joies intempérantes, avec des personnes près de qui sa principale recommandation était son esprit licencieux, et qu'il ne pouvait fréquenter longtemps sans partager les excès de leurs débauches. . . Les attraits du plaisir trop souvent énervent nos résolutions vertueuses, même pendant que nous avons l'air de les repousser d'un front sévère : nous résistons, nous résistons, nous résistons encore; mais, à la fin, nous nous retournons tout d'un coup et nous embrassons passionnément l'enchanteresse. Les élégants d'Edimbourg accom- plirent, par rapport à Burns, ce que les rusires d'Ayrshire n'avaient pas pu faire. Après quelques mois de séjour à Edimbourg, il commença à s'éloigner non pas entièrement, mais dans une certaine mesure, de la société de ses amis plus graves. Trop de ses heures furent passées à la table d'hommes qui aimaient à pousser la convivialité jusqu'à l'ivresse — à la taverne ou au bordel. 11 se laissa entourer par une race d'êtres méprisables, qui étaient fiers de dire qu'ils avaient été dans la compagnie de Burns et avaient vu Burns aussi pris et aussi assolé qu'eux-mêmes. Il n'était pas encore irréparablement perdu pour la Tempérance et la Modération, mais déjà il était presque trop captivé par ces folles orgies, pour jamais revenir à un attachement fidèle pour les charmes de la sobriété 2.

1 Thcophrastus' Letlcrs. Lelter 11.

2 R. Héron. Life of Burns, p. 435.