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Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/281

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et maigre qu'une maison ; une vieille selle de femme, toute rouillée, sans sous-ven- trière et sans étrier, mais attachée avec une vieille sangle de torche ; elle-même aussi belle que ses mains ont pu la faire, en amazone couleur crème, chapeau et plume, etc. Moi, confus de ma situation, je galope comme le diable et je la mets presque en pièces en la faisant secouer par son vieux pur sang ; je me débarrasse d'elle en refusant d'aller voir son oncle avec ellei.

Pauvre Burns ! la galante chevauchée ! poursuivi par une amazone fagotée en crème, et qui grimace, horriblement secouée et houspillée sur ■ sa haridelle, il court à lui disloquer les os ou à lui rompre le col, ventre à terre, mâchonnant des jurons dans la crinière de Jenny Geddes, Mais l'inexorable apparition est toujours derrière lui, avec un cliquetis de ferraille, de grands fouettements de plis jaunâtres et l'agitation du panache ; il sent planer sur son dos cette Euménide ensafranée ! C'est un spectacle presque aussi excellent que celui de la fuite de Tara de Shanter.

Encore si tous ces tiraillements ne représentaient qu'un peu d'ennui et pas mal de temps perdu. Le plus grave était une suite de repas, un tourbillon de déjeuners, de dîners, de festins, dans une cohue d'amphi- tryons qui changeaient jusqu'à trois fois par jour. A Kelso, à Dunse, le club des fermiers lui offre un banquet ^ ; on imagine, d'après ce qu'on sait des dîners de professeurs et de clergymen, ce que devaient être ceux de fermiers riches, de gentilshommes campagnards. Walter Scott, qui avait pourtant une tête de fer, en sut quelque chose plus tard, quand il par- courut ce pays pour y faire ses recherches. Que dans ces agapes plantu- reuses Burns se soit laissé aller, que les fêtes lui aient monté à la tête, c'est une chose manifeste. Eu dehors de son journal, on n'a guère de lui, pendant ces jours-là, que deux ou trois billets et une seule lettre ; on comprend qu'il n'avait pas le temps d'écrire. Dans un de ces billets écrit le 17 mai, un jour qui, si on se reporte à son journal, semble avoir été des plus calmes, il dit : « Je vous écris ceci, étant complètement gris, par conséquent ce doit être les sentiments de mon cœur ^ » ; et dans la lettre écrite le 31 mai, à son arrivée à Carlisle : « J'avais commencé à vous écrire une longue lettre, mais Dieu me pardonne, je me suis si notoire- ment encrapulé aujourd'hui après dîner, que je peux à peine me traîner çà el là ^. » Tl faut noter avec tristesse ces confessions ; ce sont les pre- miers parmi ces aveux d'ivresse qui deviendront plus fréquents. Hélas !

Combien cependant il était souhaitable que ce voyage exerçât sur lui une influence! Il avait besoin, précisément à cette passe de sa vie, de quelque chose qui modifiât sa condition intérieure, d'un de ces change-

1 Sunday 20th.

2 Friday 11 Ih.

3 To Peler Hill. May nth nST. 4^0 WilliamNicol, 3lst May 1181.