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La vie qu'il allait mener pendant quelques mois n'était pas pour chasser ces sombres humeurs. Afin de surveiller les travaux , il avait voulu se loger près de sa future ferme. Il n'avait trouvé qu'une misérable chau- mière enfumée et délabrée. « Je me souviens bien de la maison, dit Allan Cunningham , le plancher était d'argile , les chevrons couverts de suie ; la fumée du foyer sortait épaisse par la porte et la fenêtre, tandis que le soleil, qui faisait effort pour pénétrer par ces ouvertures, produisait une sorte de crépuscule. C'est là que tous ceux qui avaient la curiosité ou le goût de le voir, le trouvaient avec une table, des livres, des plans devant lui, tantôt en train d'écrire des lettres sur la contrée et les gens, parmi lesquels il était tombé comme une pierre lancée par une fronde ; tantôt donnant audience aux ouvriers qui étaient occupés à creuser les fossés ou les fondations ; et quelquefois aussi en train de donner un coup de brosse à une vieille chanson *. » « La cabane oii je m'abrite, écrivait-il lui-même, est ouverte à toutes les rafales qui soufflent et à toutes les averses qui tombent ; je ne puis m'y défendre de mourir de froid qu'en étant suffoqué de fumée ^. »

Les journées passaient encore, prises par les occupations. Comme il arrive pour ces petits travaux exécutés par des maçons et des charpen- tiers de village, Burns devait être son propre architecte ; tout le soin de la surveillance et de la direction lui revenait. Pendant ces besognes, sa faculté de causerie et sa familiarité trouvaient à s'exercer; le mouvement l'occupait. Mais quand, à la nuit tombante, les ouvriers s'éloignaient, un sentiment de solitude et de tristesse le reprenait. Les soirées étaient longues et sombres dans la chaumière ; il avait la sensation d'être exilé, bien loin, hors de la vie.

Dans cette terre étrangère, ce pays sauvage,

Terre inconnue à la prose et aux vers, Où les mots n'ont jamais été étirés sur le peigne de ia Muse,

Ni sautillé dans les entraves de la poésie ;

Une terre que la Prose n'a jamais visitée. Sauf quand il lui arrive d'y trébucher, les jours où elle est soûle ;

Ici donc, embusqué dans un côté de la cheminée,

Caché dans une atmosplière de fumée,

J'entends un rouet bruire dans le coin,

Je l'entends. — car c'est en vain que je regarde.

La tourbe rouge luit, noyau de flamme

Dans une cosse de brouillard infernal :

Ici, au lieu de mes ravissements poétiques,

Me voici assis à compter mes péchés par chapitres ;

Au lieu d'être vivant et vif comme les autres chrétiens,

Je suis recroquevillé, réduit à exister simplement,

1 Allan Cunningham, Life of Burns, p. 81.

2 To jW/.ss Chalmers, leth Sept. 1788.