Aller au contenu

Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/396

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 385 —

Il se fait une mue où bien des plumes brillantes de la fantaisie tombent ; l'oiseau a les ailes écourtées, le plumage plus sombre et le vol plus bas. Un assagissement, un assoupissement entre dans le sang. On commence à introduire de la mesure et du calcul dans ses actes ; on est disposé à faire une part plus grande à la pratique, à compter avec les nécessités et les conditions matérielles, le bien-être, la considération. On ne rompt plus en visière à la vie ; on confère plus humblement avec elle, on en vient à des termes et à une transaction. C'est généralement à cette époque que meurent dans les hommes les révoltes et les intransigeances contre les formes sociales, et que s'entame une lente capitulation qui aboutit à un modus vivendi avec l'existence. C'est souvent une crise dou- loureuse. Les plus terre à terre ne sentent pas sans un certain malaise périr en eux leur parcelle idéale ; et d'autres, en qui plus d'eux-mêmes meurt, en éprouvent une affliction. C'est ainsi qu'on s'achemine vers le scepticisme ou la résignation. Quelques-uns sont seuls exempts de cette transformation et se maintiennent; soit à cause d'une grande vitalité d'idéalisme, qu'ils possèdent en don spécial ; soit par le dédain des intérêts, vers quoi la vie veut les plier ; soit par une insouciance de conduite ou une impétuosité dépassions, qui les rendent indifférents au lendemain ou incapables de se contraindre. C'était ce changement qui se produisait dans l'esprit de Burns. Il faisait des concessions, il reconnaissait plus de prix à ce dont il avait longtemps fait peu de cas.

J'ai toute la révérence possible pour le monde d'outre-tombe dont on parle tant, et je souhaite que ce que la piété croit et la pitié mérite, existe réellement. Mais, dans les choses qui appartiennent à cette scène actuelle de l'existence et qui s'y terminent, l'homme a des intérêts sérieux et immédiats. De savoir si un homme sera accueilli par des mains tendues, dans une situation élevée, distinguée et respectable, ou se dérobera au mépris dans un coin abject d'une vie obscure; desavoir s'il s'épanouira sous les tropiques de l'abondance, s'il se réjouira tout au moins sous les latitudes confortables d'une aisance convenable, ou s'il souffrira de la faim dans le cercle arctique de la noire pauvreté ; de savoir s'il s'élèvera dans la conscience virile d'un esprit satisfait de lui- même, ou s'il s'affaissera sous un douloureux fardeau de regret et de remords ; ce sont là des alternatives de la dernière importance i.

Et un peu plus tard il dira :

Il n'y a pas de doute que la santé, les talents, une bonne réputation, une aisance décente, des amis respectables, ne soient des bonheurs réels et substantiels 2.

C'étaient là des paroles qui ne lui seraient pas venues quelques années auparavant. Nous voilà loin des strophes de l'épître à Davie, de la louange de la vie de vagabonds et des sommeils à la belle étoile.

1 To Robert Ainslie, June SOt-b HSS.

2 To Alex. Cunningham, 13tb Feb. 1788.

I. 25