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Voici que tu ramènes le jour Oîi ma Mary fut arrachée à mon âme. Mary, ciière ombre disparue ! Où est ta place de repos bienheureux ? Vois-tu ton amant ici-bas prosterné ? Entends-tu les gémissements qui déchirent sa poitrine ?

Puis-je oublier cette lieure sacrée, Puis-je oublier ce bosquet sanctifié, Où, sur les bords de l'Ayr sinueux, nous nous rencontrâmes, Pour vivre un jour d'adieux et d'amour !

L'éternité n'effacera pas La chère souvenance des transports passés.

Ni ton image dans notre dernière étreinte. Ah ! nous pensions peu que c'était la dernière !

L'Ayr, murmurant, baisait sa rive caillouteuse, Sur lui se penchaient des bois sauvages, des verdures épaisses;

Le bouleau parfumé et l'aubépine blanche S'enlaçaient amoureusement autour de cette scèue de ravissement Les fleurs jaillissaient désireuses d'être pressées. Les oiseaux chantaient l'amour sur chaque rameau, Jusqu'à ce que trop, trop tôt, l'ouest en feu Proclama la fuite du jour ailé.

Sur ces scènes ma mémoire reste éveillée, Et les chérit tendrement avec un soin avare; Le Temps n'en rend que plus forte l'empreinte. Comme les ruisseaux creusent plus profond leur lit.

Mary, chère ombre disparue ! Où est ta place de repos bienheureux ? Vois-tu ton amant ici-bas prosterné ? Entends-tu les gémissements qui déchirent sa poitrine ? i

Ainsi, après trois années, et quelles années, l'image de Mary Camp- bell sortait du passé oii elle semblait effacée et perdue. Tout revivait ; tous les détails de ce second dimanche de mai, avec sa lumière tranquille, sa solennité et ses adieux; le paysage resplendissait et embaumait comme alors, plein d'amour lui-même. Et la douce apparition revenait avec sa grâce sérieuse et son regard plein de reproches. Car, dans les sanglots de Burns, il n'y avait pas que des regrets, et dans cet appel passionné à la chère ombre disparue, il y a comme une douloureuse et fervente demande de pardon. Elle revenait prendre possession d'un cœur, où d'autres avaient passé, mais où elle seule devait rester comme la plus pure et la plus aimée. Et ce retour ne fut pas une de ces crises de sou- venir violentes et passagères, dont l'âme est parfois saisie. Ce fut quelque chose de profond et de durable, qui s'associa aux suprêmes espérances de

^ To Mary in Hcaviu.