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avec les pauvres débitants qui distillaient un peu de whiskey, avec les pauvres femmes qui cachaient un peu de tabac, avec tout ce chétif monde qu'une amende aurait ruiné, il savait fermer les yeux, parfois même, prévenir d'un mot les coupables. Les anecdotes, à ce sujet, ne manquent pas. Un jour, avec un de ses compagnons d'Excisé nommé Lewars, il entre dans la boutique d'une veuve et fait saisie de tabac de contrebande: a Jenny, lui dit-il, je pensais bien que cela finirait ainsi. Venez, Lewars, notez le nombre des rouleaux pendant que je les compterai. » Et l'appelant par la forme familière et amicale de son prénom: « Dites-moi, Jock, avez- vous jamais entendu les vieilles femmes compter leurs fils , avant que les bobines à arrêt fussent inventées ? : « Tu comptes, comptes pas ; tu comptes, comptes pas. » Et poursuivant sa plaisanterie , de deux paquets il en jetait l'un dans le giron de la pauvre femme , lui sauvant ainsi la moitié de sa prise i. Le professeur Gillespie, qui enseigna à l'Université de St- Andrews, retrouve dans ses souvenirs de gamin l'histoire suivante, qui montre Burns dans une situation analogue et indique , en même temps , de quelle curiosité il était l'objet partout oii il allait.

« On peut deviner avec quel intérêt j'entendis dire, un jour de foire à Thornhill, que Burns allait \isiter le marché ! Tout t^amin que j'étais, l'intérêt qu'éveillait eu moi cet homme extraordinaire fut suffisant, ajouté aux attractions ordinaires d'une foire de village, pour me faire aller au mai'ché. Burns entra dans la foire, vers midi ; et hommes, femmes et filles, tous étaient en émoi pour apercevoir le laboureur d'Ayrshire. Je le suivis comme un chien, de baraque en baraque et de porte en porte. On avait dénoncé une pauvre veuve du nom de Kate Watson, qui s'était risquée à donner, à quelques-uns de ses vieux amis de la campagne, un coup d'ale sans licence, et un filet de whiskey, à l'occasion de la fête de village. Je le vis entrer à sa porte ; et je ne m'attendais à rien moins qu'à la saisie immédiate d'une certaine jarre de terre et d'un baril qui, à ma connaissance, contenaient les oDjets de contrebande, à la recherche desquels était le barde. Un signe de tête, accompagné d'un geste de l'index, fit arriver Kate à l'entrée ; j'étais assez près pour entendre distinctement les mots suivants : « Kate, êtes-vous folle ? Savez-vous que le contrôleur et moi nous allons vous arriver dans quarante minutes ? au revoir, pour à présent. » Burns fut dans la rue, au milieu de la foule, en un moment ; et j'appris que son avis n'avait pas été négligé. Il avait épargné à une pauvre veuve délaissée une amende de plusieurs livres 2.

Lorsqu'il fallait absolument saisir ces malheureux, il ne les abandonnait pas. Devant les juges, il les excusait; il priait la cour de réserver sa sévérité pour les coupables endurcis.

J'ai pris, je l'imagine, une façon assez nouvelle de traiter mes fraudes. Je verbalisais contre tous les délinquants, mais, devant la cour, j'implorais moi-même la grâce des pauvres gens incapables de payer. Cette apparence d'impartialité m'a donné tant de

1 Allan Cunningham. Life of Burns, p. 90.

2 Scott Douglas, tom V, p. 403. Cette anecdote du professeur Gillespie parut dans VEdinburgh Literary Journal, 1829.