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Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/52

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des demandes semblables se posassent dans l'esprit de Burns. Il aurait suffi de l'analogie des génies et des situations. Il y eut de bonne heure dans Burns une protestation et une révolte inévitables contre l'inégalité des rangs et, ce qui est mieux, une revendication de la valeur individuelle. L'amour, les préoccupations de la vie, d'autres luttes l'empêchèrent de développer tout à fait ce côté de protestation sociale, mais il éclatera dans quelques passages de ses poésies, et on en discerne le germe dans ces discussions de jeunesse.

En même temps il se fit affilier à la loge maçonnique de Tarbolton, dont les séances se tenaient dans une salle de l'auberge du village. Les registres y sont encore conservés et montrent qu'il était assidu aux séances*.

A travers tout cela, il continuait plus que jamais son métier d'amoureux rural : « L'amour sage ou insensé fut une perpétuelle nécessité de son âme, » dit Hately Waddell ^ ; et Carlyle, dans une de ses fortes apprécia- tions qui dégagent la ligne morale de toute une existence, avait dit : « A la vérité, il n'y a qu'une ère dans la vie de Burns, c'est la première. Nous n'avons pas la jeunesse, puis la maturité, mais seulement la jeunesse ; car, jusqu'à la fin, nous ne discernons aucun changement décisif dans la complexion de son caractère ; dans sa trente-septième année, il est encore, pour ainsi dire, dans la jeunesse ^. » C'est surtout pour ce qui concerne son intarissable faculté d'aimer que cela est vrai. Pendant vingt ans, il a été dans une continuelle admiration de la beauté ou plutôt de la grâce féminine , et ce qu'il y a de particulier en lui c'est que ses derniers amours avaient autant d'enthousiasme que les premiers. Il a chéri toute sa vie avec la bonne foi fougueuse des dix-huit ans, et il eût aimé ainsi indéfiniment. Chez lui, les passions ne formaient pas ces légers résidus d'accoutumance, d'amertume, de lassitude ou seulement d'habitude, que même les meilleures laissent au fond du cœur, et qui rendent celles qui y viennent ensuite moins douces ou les font paraître moins charmantes. Bien qu'il y ait bu souvent, le cristal de la coupe resta clair et transparent. L'amour conserva toujours pour lui toute sa nouveauté et sa délicieuse surprise. Il ne devint pas en lui amer comme dans Byron, railleur comme dans Heine , ou douloureux comme dans Musset. Il continua d'être pour lui, selon l'expression de Keats, « une chose de beauté et une joie éternelle. « 

L'épisode de la petite moissonneuse n'avait été qu'une de ces aspira- tions vagues dont tous les cœurs de seize ans sont troublés, et l'épisode de

1 Gilbert' s Narrative.

2 Hately Waddell. Life of Burns. Part. I, p. xix.

3 Carlyle. Essay on Burns.