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l'aiirait consolé, rassuré, réconcilié un peu avec lui-même. Mais le temps lui en fut refusé. Il fut implacablement frappé au moment le plus affreux que son esprit ait connu. Dans ses derniers mois, il n'existe pas de lui une parole plus gaie et plus légère, un mot moins découragé que les autres ; tout y est d'une tristesse uniforme. Une même teinte morne assombrit chacun de ses instants. Et dans ses heures suprêmes, on ne trouve pas de signe d'une de ces lueurs qui éclairent parfois les fronts mourants et qui, vraies ou fausses, adoucissent les ago- nies. Il mourut enfermé dans l'étroite et ténébreuse prison de son déses- poir. Jusqu'au dernier moment , la troupe impitoyable des soucis empêcha d'arriver jusqu'à lui une de ces visites d'anges qui, dans sa vie plus que dans toute autre, avaient été si rares et distantes entre elles, et dont sa pauvre âme avait tant besoin. C'est une navrante histoire que celle de ses dernières années.

Ce qu'il y a de plus triste encore, c'est de penser que, par sa faute, la mort était la plus heureuse issue , peut-être la seule , hors de celte impasse oîi il avait conduit sa vie. Carlyle l'avait bien vu et l'a dit avec sa pénétration morale et sa saisissante éloquence : « Nous sommes ici arrivés à la crise de la vie de Burns; car les choses avaient pris pour lui une telle tournure qu'elles ne pouvaient pas durer longtemps. Si l'on ne devait pas espérer d'amélioration, la nature ne pouvait plus, que pour un temps limité, continuer cette lutte sombre et affolante contre le monde et contre elle-même. Nous n'avons pas de renseignenients médicaux pour savoir si une continuation de vie était à celte époque, probable pour Burns, et si sa mort doit être considérée comme un événement en partie accidentel, ou seulement comme la conséquence naturelle d'une longue série d'événements qui l'avaient précédée. Cette dernière opinion paraît la plus vraisemblable, bien qu'elle ne soit nullement certaine. En tous cas, comme nous le disions, un changement ne pouvait pas être éloigné. Trois portes de délivrance, nous semble-t-il, étaient ouvertes à Burns : une claire activité poétique, la folie ou la mort. La première, avec une vie plus longue, était encore possible, bien qu'elle ne fût pas probable ; car des causes physiques commençaient à agir ; et cependant Burns avait une résolution de fer, si seulement il avait pu voir et sentir que non seu- lement sa plus haute gloire, mais son premier devoir et le vrai remède de tous ses chagrins se trouvaient là. La seconde était encore moins pro- bable, car son esprit fut toujours parmi les plus clairs et les plus fermes. Ainsi la troisième porte, plus douce, s'ouvrait pour lui, et il passa, non pas doucement, cependant, rapidement, dans cette contrée tranquille, où les averses de grêle et les orages de feu n'arrivent pas, et où le voyageur le plus lourdement chargé dépose enfin son fardeau ^. »

1 Carlyle. Essay on Burns.