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avait entre elle et la maison qu'nne aussi faible somme. Par une règle cynique et barbare de lËxcise, le traitement des employés incapables de continuer le service était réduit de moitié ^ Burns ne devait plus maintenant avoir que 35 livres par an, au moment où sa maladie réclamait plus de dépenses. Pour achever le désarroi , sa femme se trouvait enceinte, sur le point de s'aliter, incapable de le soigner. Et cinq enfants dans cette maison , à travers laquelle se traînait le spectre voùlé du poète. Quel tableau et comme on comprend ses cris d'angoisse !

Dans cette misère, va et vient, attentive, active et silencieuse, une amiable figure, la dernière des figures de femmes que son souvenir évo- quera. C'est une jeune fille de dix-huit ans, une orpheline, la sœur d'un des jeunes confrères de Burns 2. Elle s'appelait Jessy Lewars et son nom restera doucement harmonieux dans le langage écossais. Elle habitait presque en face, et voyant l'abaudon de cette pauvre demeure, elle tra- versa la rue. Pendant tous ces longs mois, elle fut l'Ange de la maison. Elle soigna tout le monde avec un dévouement infatigable. Elle fut pour les enfants une sœur aînée, et pour la uière, une jeune sœur. Quant au poète lui-même, elle fut sa dernière vision de grâce et de jeunesse, une présence bienfaisante et consolatrice. Grâce à elle, les nuages mena- çants qui l'enveloppaient de toutes parts, ne furent pas sans leur bordure argentée. Un biographe anglais l'a heureusement comparée à la petite fée « qui porta au lit également lamentable de Henri Heine quelques heures d'apaisement. »

Et lui, dans sa gratitude, reprit sa plume que sa main avait peine à tenir et composa en son honneur ses dernières pièces, presque les seules de cette période. Mais, même pour cette pure enfant, son cœur ne sut pas perdre sa longue accoutumance de revêtir ses pensées de mots d'amour, et sa reconnaissance prit la forme d'une déclaration. On dirait qu'il ne connaissait pas d'autre façon d'enchaîner dans des vers un nom féminin. 11 la prit pour rendre immortel celui de la jeune fille qui le soignait. Il faut se rendre compte de cette fiction poétique et dégager le sentiment de sa forme convenue, pour qii'en lisant ces pièces charmantes l'étonne- ment n'interrompe pas l'admiration.

Voici la santé de qui j'aime clièrement ; Voici la santé de qui j'aime chèrement ; Tu es douce comme le sourire de rencontre des amoureux, Et tendre comme leur larme d'adieu, Jessy !

Bien que tu ne doives jamais être à moi, Bien que l'espoir même me soit refusé,

1 Currie. Lij\' of Burns, p. 53.

2 R. Chambers, tom IV, p. 194.