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ministre d'une paroisse voisine. Son aspect altéré avait produit un silence sympathique. Le soir était radieux, et, par la fenêtre, le soleil couchant entrait dans sa chambre. La fille du ministre, qui était grande admira- trice deBurns, craignant que cette lumière ne fiit trop forte pour lui, se leva pour baisser les stores. Il devina ce qu'elle allait faire et, la regar- dant avec un air de grande douceur, il la remercia en ajoutant : « Oh ! laissez-le briller, il ne brillera plus longtemps pour moi. »

Ce séjour dans cette solitude, sur une grève immense et nue, fut pour le poète comme une retraite, une préparation, avant la mort. Il savait que son arrêt était prononcé, que son heure était marquée et prochaine.

Il entrait dans ces jours solennels, pleins déjà d'éternité, qui relèvent plus de la mort que de la vie. Que celle-ci semble brève alors ! C'était hier la maison du mont Oliphant et la dure jeunesse, le séjour à Irvine et la rencontre de Brown, les années d'apprentissage de Lochlea, les premières amours, les premières chansons, et Tarbolton avec ses réunions maçon- niques ! C'était hier Mossgiel, et ses mois lumineux, pour lesquels une reconnaissance vit au fond de son cœur, l'orage de Jane Armour et la fuite préparée, et le coup de soleil de gloire. C'était hier l'apothéose d'Edimbourg, la ville affolée de lui, la rencontre de Clarinda ; puis une période pénible dont il ne se rend pas bien compte, mais oii il sent que quelque chose aurait pu mieux tourner. C'est plus près encore, Ellisland, les revers, les joies et les tourments des nouveau-nés, les années amères de Dumfries. Et déjà le terme ! Que tout cela tient peu de place ! Cette vie qui, à l'autre extrémité, comme une tapisserie tendue, semblait si longue et si belle avec sa décoration de désirs et d'espoirs, est maintenant comme une tapisserie repliée, un tas petit et confus, sans signification, toutes ses scènes réduites et déformées, prêt à être enlevé. Oui, c'est déjà le terme ! Avec cette promptitude, la nécessité désespérante de mourir est venue. Et pourtant il n'est qu'au bord de la maturité ! Il n'a que 37 ans ! Il aurait besoin de vivre pour les siens ! Il porte encore tant de poésie en soi ! Hélas ! voici déjà les épaisses ténè- bres, l'ombre delà mort est sur ses paupières, et le monde n'apparaît plus que comme un paysage qui blêmit et se fond dans un crépuscule.

Il est possible de pénétrer plus avant dans les méditations de ces dernières journées. Presque tous les hommes ont les mêmes pensées en ces suprêmes instants. Dans l'évanouissement de la vie, tant de choses jadis importantes et souhaitables sont à présent chétives, indiffé- rentes. Tous ces désirs, ces inquiétudes, ces intérêts, ces entreprises, ces jouissances, ces attachements, ces ambitions, pour lesquels nous nous sommes montrés si diligents , tout ce tumulte , que cela est insignifiant ! Nos passions, si ardentes jadis, sont comme les cendres