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lie noire folie, dans le loiirbillon même de notre horreur, se dresse la conscience qui nous déchire avec les sentiments des maudits i.

Ces regrets, dont sa correspondance est semée, pour sincères qu'ils fussent, manquaient de quelque chose ; ils étaient trop personnels. II paraissait regretter ses égarements, pour lui plus que pour les autres. Mais les approches de la mort ne sont pas égoïstes. Dans le dépouille- ment progressif de notre individualité, la considération d'autrui prend du relief et s'avance vers nous. Burns put avoir alors le plein discernement des douleurs qu'il avait causées. Hélas ! elles étaient nombreuses : les regards attristés de son père expirant, les larmes, à plusieurs reprises renouvelées, de sa mère, le chagrin installé à son propre foyer, des cœurs déchirés, des vies compromises ou perdues, Jenny Clow mourante dans une mansarde, Anna Clark chez sa sœur ; par dessus tout l'image de la douce fille des Hautes-Terres, dont il n'avait eu le courage de confier l'histoire à personne. Ce secret surtout était sa blessure profonde. Etait- il possible qu'il eût créé tant de douleurs ! Est-ce lui qui avait causé ces afttictions? C'est l'instant où nous reviennent les amertumes que nous avons versées aux autres. C'est la défaite de l'homme par sa conscience. Dans la dissolution de son être, il sent clairement la méprise de la per- sonnalité ; il est plus près de l'existence commune ; elle pénètre et gémit en lui, en sorte qu'il souffre des souffrances qu'il lui a faites. Lamen- table aveuglement ! C'est donc pour cette figure creuse et fugitive qu'il a infligé ces sacrifices ! Et rien, ô cœur désabusé, ô cœur qui s'élargit dans la diminution de sa vie, rien pour compenser ces blessures et ces pleurs, (jue la poussière d'une bienveillance générale et des souhaits ineffectifs de bonheur universel !

Ses réflexions ne s'attardaient pas dans le passé; elles se tournaient vers le futur immédiat. Dans cette calme crainte, qui est en face de la mort la seule contenance d'une âme courageuse et réfléchie, qui peut empêcher sa pensée de prendre les devants, de le précéder vers ces ombres? Même dans les esprits les plus obscurs et les plus grossiers, même en ceux qui ne se sont jusque-là nourris que de bas réel, il se fait un effort pour ras- sembler un peu de clarté et de confiance. Ils éprouvent le besoin d'un viatique pour la ténébreuse aventure. Nul doute que, pendant les médi- tations de ces journées solennelles, Burns n'ait essayé de rassembler ce qu'il pouvait y avoir en lui de croyance éparse et d'en tirer une lumière. Eut-il, avant d'être entraîné, une conviction sur laquelle appuyer son départ de toute chose? Ces heures suprêmes que continrent-elles? la foi? ou une espérance plus vague, un peut-être optimiste? ou les troubles de l'anxiété ? ou l'arrêt d'une négation ?

1 To Peter Stuarl. Feb. 1781.