Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/568

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 557 -

Dites-nous, 6 morts, Aucun de vous, par pitié, ne traliira-t-il le secret De ce que vous êtes, de ce que nous serons bientôt?

Mille fois j'ai adressé celte apostrophe aux fils disparus des hommes, mais pas un seul n'a jugé convenable de répondre à la question. « si quelque spectre courtois voulait parier ! » Mais cela ne se peut : vous et moi, mon amie, devons faire l'expé- rience par nous-mêmes*.

Ainsi il ae pouvait attendre de ce qu'il avait de sentiments religieux ni consolation, ni révélation. Le mystère restait pour lui impénétrable ; aucune voix ne lui avait révélé ce qui se cache de l'autre côté du voile obscur derrière lequel s'engouffrent tous les hommes. En face de la redoutable épreuve, il arrivait avec les seules ressources de la raison et de l'énergie humaine. Il se présentait stoïquement, avec ce dilemme, qui est comme un pis aller, et qui est le dernier mot de notre intelligence quand nous lui demandons de l'assurance pour nous offrir à la dissolution.

Vous et moi sommes souvent tombés d'accord que la vie en somme n'est pas un grand bienfait. La fin de la vie, aux yeux du raisonnement, est

Sombre comme fut le chaos, avant que le jeune soleil

N'ait été ramassé en globe, ou avant qu'il ait essayé ses rayons

A travers l'obscurité profonde.

Mais un honnête homme n'a rien à craindre. Si nous gisons dans la tombe, l'homme tout entier comme un morceau de mécanisme brisé, pour y pourrir avec les mottes de terre de la vallée, c'est bien ; du moins c'est la fin de la peine, du souci, de l'angoisse et des besoins. Si cette partie de nous qu'on appelle l'Esprit survit à la destruction apparente de l'homme — loin de nous les préjugés et les contes de vieilles femmes ! Chaque siècle et chaque nation a une collection différente d'histoires ; et comme la multitude est toujours faible, elle a souvent, peut-être toujours, été trompée. Un homme qui a conscience d'avoir rempli un rôle lionnête parmi ses semblables — même en admettant qu'il ait pu être par moments le jouet des passions et des instincts — cet homme s'en va vers un grand Être inconnu, qui n'a pu avoir d'autre dessein, en lui communiquant l'existence, que de le rendre heureux ; qui lui a donné ces passions et ces instincts et qui en connaît bien la force 2.

Cette impression se confirme encore lorsque , en lisant ses dernières lettres , on remarque qu'elles sont toutes tournées du côté de la terre , qu'elles ne contiennent que des adieux et pas une lueur d'espérance. On dit qu'il avait emporté une Bible dans cette solitude. S'il l'ouvrit, son esprit ne porta pas vers les chapitres d'une tendre lumière où il est parlé du royaume des cieux ; il s'arrêta plutôt au livre douloureux oîi Job entrevoit :

Le pays des ténèbres et de l'ombre de la mort , Pays d'une obscurité profonde,

1 To lf« Dunlop. 22iid Aug. 1192.

2 To Robert Muir. 1^'^ March 1188.