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voie de guérison. Il jugeait la souffrance pour s'être mesuré avec elle. S'il en ressentait encore l'étreinte, il n'en avait plus autant l'horreur. Il avait en outre acquis des expériences diverses, qui flottaient encore en lui ; il en rapportait des idées nouvelles sur la vie, vagues encore, mais qui ne tarderaient pas à devenir plus solides. Quand il se retrouva dans son ancienne vie des champs, l'influence de la campagne le reprit et le calma. Dans les lentes allées et venues de labourage, il put réfléchir. Son chagrin s'effaça et ses réflexions se dessinèrent dans son esprit. Il ressentit, après quelque temps, un peu de résignation, qui est la parcelle d'or contenue dans toute grande souffrance.

Ce n'est pas qu'il eût meilleur espoir dans l'avenir, qui restait caché et aussi sombre que jamais ; mais il s'en préoccupait moins. Il rapportait un peu de l'insouciance des marins, accoutumés à prendre le temps comme il vient et à faire bon accueil au vent de quelque côté qu'il souffle. Son ami Brown lui avait communiqué quelque chose du sans gêne et de l'indifférence des gens de mer vis-à-vis du lendemain, si opposés à l'esprit des paysans, dont la richesse dépend chaque jour du jour suivant. Il lui avait aussi enseigné à ne pas s'inquiéter des juge- ments du monde, comme il est naturel chez des hommes qui ne sont jamais assez longtemps nulle part pour que leur amour-propre puisse y prendre racine. Que lui importait dès lors l'obscurité ? Quant à la pauvreté, n'avait-il pas ses deux bras pour travailler ? Et si même, en poussant les choses à l'extrémité, il devait avoir recours à la vie mendiante, « la dernière et pire ressource des malheureux et des misérables * » cela n'avait rien pour le terrifier. Certains mendiants étaient des moitié de conteurs qui payaient leur gîte par des histoires, ils étaient connus par leurs noms et accueillis avec plaisir dans le cercle de leurs itinéraires. Il ferait comme eux. « Je sais, écrivait-il à Murdoch, que mon talent pour ce que les gens de la campagne appellent une conversation raisonnable, quand il sera rendu vénérable par des cheveux blancs, me procurerait assez d'estime, pour que, même dans cette situation, j'apprenne à être heureux ^ » D'autres fois, il songeait à se faire soldat. C'était sa dernière ressource, quand toutes les autres auraient manqué. «De bonne heure dans ma vie et toute ma vie, j'ai regardé le tambour du recrutement comme ma suprême espérance 2. » Il en parlait avec un peu de cette crânerie qu'affectent les conscrits.

pourquoi diable me désolerais-je

Et pourquoi toujours prévoir le mal ?

J'ai vingt-trois ans et cinq pieds neuf pouces,

Je m'en irai, je me ferai soldat.

1 To John Murdoch. Lochlea, January 15, 1783.

2 To Miss Margaret Chnlmcrs, 22iid Jan HSS.