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n'avoir besoin que de peu. Carlyle l'a bien noté : « II y a une force dans ce jeune homme qui le rend capable de marcher sur l'infortune, bien plus, de la lier sous ses pieds pour s'en faire un jeu. Car une humeur de caractère, hardie, chaude, rebondissante lui a été donnée ; et ainsi les formes du malheur qui arrivent de toutes parts, il les reçoit avec une ironie gaie, amicale ; et quand il est le plus serré par elles, il ne perd pas un pouce de courage ou d'espérance *. »

Cette insouciance du lendemain et cette façon de hausser les épaules aux menaces du sort, très opposées à l'esprit de vigilance et de prévoyance inquiète qui régnait dans la maison, n'était pas la seule chose qu'il eût rapportée de son séjour à Irvine. L'approbation et les encouragements de son camarade Brown faisaient leur travail dans son esprit et y détermi- naient quelque chose comme un commencement d'ambition. C'était très vague et très obscur, très latent, presque inconscient même ; mais il s'y remuait une préoccupation nouvelle. Jusqu'alors Burus avait été satisfait de son application intellectuelle pour le plaisir qu'il en recevait ; ses productions littéraires ne visaient pas au delà de l'instant présent. 11 se fît dès lors, dans sa pensée, des ouvertures sur des choses plus reculées. La naissance de ce germe d'ambition suscita une confuse idée de prépa- ration, une espèce de recueillement, une disposition à l'effort et à l'étude. Les deux années qui s'écoulèrent après le voyage d'Irvine, et qui sont les dernières de Lochlea, sont occupées par cette sourde fermentation. Cela est très insensible ou du moins très caché ; car les renseignements sur cette période de sa vie sont peu nombreux. Il en existe pourtant quel- ques-uns qui la révèlent et la résument. On voit qu'elle est faite de con- flits entre des influences diverses, d'états d'âme opposés, les uns factices et les autres sortant du vrai fond de sa nature.

Par un certain côté, il est soumis à des influences qui paraissent peu en harmonie avec sa nature d'esprit. Il lit beaucoup, mais une classe très particulière d'auteurs. « En matière de livres, à la vérité, je suis très prodigue. Mes auteurs favoris sont du genre sentimental tels que Shenstone, particulièrement ses Elégies ; Thompson ; l'Homme de Sentiment (un livre que j'estime tout de suite après la Bible) r Homme du Monde; Sterne, spécialement son Voyage sentimental; VOssian de Mac Pherson ^. » A l'exception de Sterne — et encore est-il représenté ici par son œuvre la plus unifiée et la plus purifiée — ce sont des auteurs de style noble et de noble prestance. Même ils ne sont pas exempts, sinon d'un peu de déclamation, du moins d'un peu d'apparat et de solennité. Ils disent toutes choses avec dignité, ou ils ne disent que des choses dignes. On

1 Carlyle. Essay on Burns.

2 To John Murdoch. Lochlea, January 15, 1783.

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