Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/112

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vation variée, concrète, d'humour, de sensibilité, de rire, et il a donné des écrits qui, avec leurs grands mérites, sont raides , froids et vagues. L'œuvre est loin de valoir l'âme, et Johnson ne serait qu'un pédant ennuyeux si nous ne l'entendions causer dans les pages de Boswell. Sa conversation valait mieux que son style. Les deux récits du même fait, rapprochés par Macaulay ^ sont un exemple de la façon dont une préoccupation littéraire peut gâter les impressions. Le premier est une excellente scène de comédie précise et vivante ; l'autre est une page de style artificiel. Les quelques hommes du xviii^ siècle qui ont vraiment touché à la vie , Swift , Fielding , Smollett , Richardson , Goldsmith , sont des irréguliers ou des bohèmes. Rien ne pouvait être plus opposé à la façon dont Burns a peint la vie que les mœurs littéraires de son temps.

Qu'il ait pu y avoir péril pcfur lui à un commerce trop prolongé avec le goût de cette époque, cela n'est pas douteux. Tl suffit de voir combien l'homme de lettres s'est montré en lui, après son séjour à Edimbourg. A partir de cette époque , ses œuvres contiennent des imitations de Pope et de Gray, des morceaux sans saveur, abstraits et de tout point inférieurs à ses productions originales. Heureusement , le contact fut trop court, et il eut le*bonheur de puiser aussitôt à la source des chan- sons populaires. Mais on sent très clairement le danger 2. On peut voir encore par ailleurs combien la mode littéraire aurait agi sur lui. Il avait formé son style épistolaire sur les recueils de lettres du xvuf siècle. Sa correspondance , très remarquable comme effort littéraire et souvent très belle, est cependant bien loin de ses vers. On y trouve des disser- tations éloquentes et des révélations personnelles parfois touchantes, mais dans un style abstrait , oratoire et souvent déclamatoire. Ses vraies qualités natives d'observation, de gaieté, de naturel n'y apparaissent pas. Elle n'est qu'une œuvre de pur effet littéraire.

Par les mêmes raisons, sa gaîté a été sauvegardée. Rien ne nuit plus au rire simple, franc et large, que la préoccupation de créer un art toujours noble. La noblesse ne va pas sans gravité. Le rire n'est pas esthétique. Les joyeux bonshommes de Téuiers n'ont-ils pas été traités de magots? Les époques dominées par un idéal de dignité et de beauté restent sérieuses. Qu'est devenu le rire du Menteur, qu'est devenu le rire char- mant des Plaideurs, lorsque Corneille et Racine se sont consacrés uniquement à la tragédie ? Il s'est éteint en eux comme une faculté inactive. N'y avons-nous rien perdu? N'existait-il pas dans ces deux hommes une force comique qui a été atrophiée par la tendance vers un art toujours imposant? Ce quelque chose de solennel, cette tenue, cette

1 Macaulay. Essay on Boswell's Life of Johnson.

2 Voir dans la partie biographique, pages 456-5'7.