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bilité, et on a le choix entre deux paradoxes. Si l'humour aime rexcentri- cité et se réjouit de déconcerter la logique et la raison ^ , que devient celui de Swift qui est fait de logique, et celui d'Addison qui est fait de raison? Si l'humour est fait de fantaisie dévergondée, de bizarrerie, de heurts, de soubresauts, que fait-on de celui du Vicaire de Wakefield, si uni et si charmant ? Si l'humour exige des contrastes violents, que devient l'hu- mour de Charles Lamb, tout en nuances délicates et fondues? D'ailleurs, qu'a de commun le décousu, tout extérieur, des chapitres de Sterne, par exemple, avec son humour ? Qu'on découpe un exemplaire de Tristram SJiandy, et qu'on rétablisse, en histoires suivies, les chapitres jetés pêle- mêle, l'humour ne subsistera-t-il pas tout entier? bien plus, qu'on prenne une page, un passage de Sterne, isolé et formant un tout, l'humour ne s'y trouve-t-il pas? Encore ne donnons-nous contre chacune de ces formules que la grosse objection centrale. Elles en soulèveraient mainte autre de détail. De toutes parts, ce sont des contradictions et des insuffisances, un enchevêtrement de définitions souvent arbitraires et toujours trop courtes ; leur objet les dépasse de toutes parts. Quelques- unes sont si étroites qu'elles font penser à celle de ce vaurien qui, dans une pièce de Shadwell, faisait consister l'humour à briser les vitres 2.

Ajoutez, pour achever le contraste entre la petitesse des définitions et l'étendue de l'idée, que l'humour n'est pas, pour les Anglais, une chose purement anglaise. C'est un don qui appartient à l'esprit humain et se manifeste partout où le génie paraît, comme la poésie ou l'éloquence. Il faut faire entrer dans la définition de ce mot, tel que les Anglais l'enten- dent, des hommes comme Rabelais, Montaigne, Aristophane, Henri Heine, Jean-Paul Richter, Molière, La Fontaine, Voltaire, Cervantes. Hallam, qui a quelque autorité pour parler de littérature, dit que les Plaideurs contiennent plus d'humour que d'esprit 3. Quant à Cervantes, il est le roi et le modèle des humoristes, le représentant le plus complet de l'hymour. Tous les critiques anglais sont d'accord sur ce point. « Il n'y a peut-être pas un livre, dans aucune langue, oii l'humour soit porté à un plus haut degré de perfection que dans les aventures du célèbre Chevalier de la Manche *. » C'est Campbell qui parle ainsi, dans sa Philosophie de la Rhétorique. Et il est important de ne pas oublier que ces paroles datent de 1750, qu'on ne peut invoquer contre elles l'extension récente que le mot d'humour aurait reçu. Près d'un siècle plus tard, Carlyle écrit: «Sterne vient ensuite, notre dernier spécimen de l'humour

1 Jean-Paul Richter dit de l'humour : » Il ressemble à l'oiseau Merops qui monte vers le ciel en tenant sa queue tournée vers lui ; c'est un jongleur qui boit et aspire le nectar en dansant sur la tête ». Poétique ou Introduction à l'Esthétique, § 33.

2 Addison. Spectator, n" 35.

3 Hallam. Introduction to the Literature of Europe.

4 Campbell. Philosophy of Rhetoric, chap. 11, section 2.