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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/15

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nos efforts pour rendre dans des mots le charme particulier d'une phrase musicale ou l'arôme d'un vin.

Qu'est-ce donc si, au lieu de chercher à pénétrer ce qui distingue un esprit, nous nous contentons de faire ressortir ce par quoi il est semblable à d'autres? Nous ne possédons plus qu'une sorte de représentation émoussée, vague, pareille à ces faces obtenues par des photographies superposées où les traits individuels ont été effacés. Cela peut fournir quelques renseignements à d'autres sciences ; mais en art, l'individualité est tout. C'est justement ce qui est arrivé au distingué critique dont nous parlons. En voulant trouver à beaucoup d'esprits divers quelques caractères communs, en voulant les réduire à une même ressemblance, il a mutilé les uns, et il en est d'autres qu'il a presque supprimés ou ignorés. Son système a faussé et étréci l'image de la littérature anglaise. Il a fait comme le bticheron qui équarrit des arbres : à la condition d'élaguer les rameaux et de faire tomber une partie des feuilles et des Heurs, il leur donne une indiscutable ressemblance et un air de famille évident. Mais oii sont le port , la physionomie de chaque arbre , les racines innombrables , l'expansion du feuillage vers les quatre coins du ciel, les fines branches aériennes , celles qui frémissaient aux brises et sur lesquelles était l'oiseau chanteur? Il est sorti de cette critique à coups de hache une littérature anglaise monotone , alourdie , à plans peu nombreux et grossiers, sans variété et sans mouvement, trop à l'écart des autres pensées humaines , trop dépouillée des passions permanentes et générales, manquant à la fois d'ampleur et de précision.

L'échec, de plus en plus manifeste, du robuste ouvrier, si bien bâti et si bien outillé pour la besogne qu'il avait entreprise , est une leçon de prudence. Il est temps de débarrasser l'étude des œuvres littéraires anglaises de tant d'explications qui n'en sont point, de la phraséologie anglo-saxonne qui ne prouve rien , de cette superstition de caractères communs. Il est temps de rendre aux caractères nationaux leur vraie place : ce sont des accidents dans les sujets qu'ont traités les auteurs et non des causes qui ont produit leur génie. Il est temps de rendre aux choses leur complexité immense , leur confusion inexplicable et leurs apparentes contradictions. Il est temps d'examiner sans parti-pris la production toujours déconcertante de génies toujours inattendus. Si jamais , ce qui est peu probable , car les races et les milieux et les influences vont se mélangeant et se pénétrant de plus en plus, on peut établir des généralisations , ce ne sera qu'après une suite d'études désintéressées, minutieuses, vérifiées, devant lesquelles les généralisations hâtives et les affirmations sans contrôle ne sont que des obstacles et des barrières.

Rien ne peut rendre plus sensibles les impossibilités et les trous de ce