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tration. Il devait ce penchant à son père. II disait que celui-ci, dans ses longues années de vie errante, coupée de séjours çà et là, avait ramassé une grande provision d'observation et d'expérience, auxquelles il devait presque toutes ses propres prétentions à la sagesse. Il avait, ajoutait-il, « rencontré peu d'hommes qui comprissent aussi bien les hommes, leurs façons et leurs voies. * > Il avait commencé de bonne heure à faire son métier d'observateur , à regarder les visages ; à en démêler l'expression ; à rebâtir, sur quelques indications des traits ou du costume, le caractère entier et la vie précédente ; à s'attacher à un homme qu'on suit à travers les groupes et dont on pressent les gestes et les paroles ; à s'égarer et à s'oublier dans les foules, les yeux mi-clos, afin d'atténuer l'effort du regard et d'empêcher que les gens ne se sentent observés. Attrayante occupation, si l'on ne discernait, sur tant de visages, des indices de maladie ou des traces de chagrin ! Dès la ferme de Lochlea , il écrivait à son maître Murdoch : « J'oublie que je suis un pauvre diable insignifiant qui se pro- mène obscur et ignoré par les foires et les marchés, lorsqu'il m'arrive d'y lire une page ou deux du Genre Humain, et de saisir les manières vivantes, au fur et à mesure qu'elles naissent, tandis que les hommes d'affaires me bousculent de tous côtés comme un encombrement en leur chemin.^ » Et c'était sciemment, avec une sorte de parti pris et de dilettantisme curieux, que déjà il étudiait les hommes, car, dans cette même lettre, il disait ces paroles encore plus singulières chez un jeune paysan de vingt-quatre ans à peine : « Je me fais l'effet d'un être envoyé dans le monde pour voir et observer ; je m'arrange volontiers avec le filou qui me vole mon argent, s'il y a en lui quelque chose d'original qui me montre la nature humaine sous un jour différent de ce que j'ai vu. La joie de mon cœur est d'étudier les hommes, leurs mœurs, et leurs façons, et, pour ce sujet favori, je sacrifie joyeusement toute autre considération -. » Il était, au milieu des lourdes natures qui l'entouraient, fier de ses pouvoirs d'observation et de remar- que. Lorsqu'il était tombé à Edimbourg au milieu d'un autre monde, et qu'il s'était trouvé mélangé à des classes d'hommes bien différentes et toutes nouvelles pour lui, il était encore tout attention à en saisir les manières^. Le journal qu'il avait commencé s'ouvre par ces mots : « Comme j'ai vu beaucoup de vie humaine à Edimbourg et un grand nombre de caractères qui sont nouveaux pour quelqu'un qui a été comme moi élevé dans les ombres de la vie, j'ai pris la résolution de fixer mes remarques sur le champ *. » Et plus loin : « J'esquisserai tous les caractères qui me frapperont de quelque façon * . » A la suite de ces déclarations se trouvent

1 Autobiographical Leiter to Dr Moore.

2 To Murdoch, 15th Jan 1783.

3 Autobiographical Letter to Zf Moore.

4 The Author's Edinburgh Common-place Book, April Qth, nsT.