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des gestes ; il avait un don extraordinaire de mouvement, non pas ample et harmonieux, mais court, rapide, imprévu, leste, dégagé, comme il convient à des façons populaires où la réserve est moindre et l'impulsion du moment plus spontanée. Il avait, pour donner du sel à tout cela, l'humour que nous avons vu. Il avait aussi ce qu'il faut de pathétique et de tendre pour rendre, avec justesse, les soutfrances des cœurs les plus humbles. Son don de vie se serait exercé à franches coudées et se sérail animé encore par le plaisir du mouvement.

Autour de lui s'offrait un riche champ d'observation. Les Écossais sont très originaux ; la race a une personnalité très âpre , très dure à entamer. Les circonstances l'avaient conservée intacte. La perte de la cour, à la suite du départ de Jacques I pour le trône d'Angleterre, les préserva de l'uniformité de la mode. Us n'eurent pas l'occasion d'obéir à un goiît unique, qui part d'en haut et gagne tout le pays. Ils avaient gardé , dans la façon de penser comme de se vêtir, une sorte d'indé- pendance. Même à Edimbourg, où la convention régnait davantage par suite de l'abondance de professeurs, d'hommes de loi et d'église, la société était encore, vers la fin du dernier siècle, d'une étonnante origi- nalité. Les individualités les plus bizarres de costume ou d'habitudes s'y rencontraient de toutes parts. Il faut en voir l'amusant tableau dans les pages de Lord Cockburn et de Robert Chambers, ou dans la série des portraits de Kay. Lord Cockburn a bien marqué cette singularité de manières, lorsqu'il parlait des vieilles ladies écossaises : « Elles étaient indifférentes aux modes et aux habitudes du monde moderne, et attachées à leurs propres habitudes, de façon à saillir comme des rocs primitifs, au-dessus de la société ordinaire ^ » Et il ajoute : « Leurs remarquables qualités de bon sens, d'humour, d'affection et d'énergie, se manifestaient dans de curieux dehors, car elles s'habillaient, parlaient et agissaient toutes, exactement comme il leur semblait bon ; leur langage, comme leurs habitudes, était entièrement écossais, mais sans autre «vulgarité que ce qu'un naturel parfait fait parfois prendre à tort pour de la vulgarité * ». Ces vieilles dames avaient été les jeunes femmes d'Edim- bourg, au temps de Burns. Lord Cockburn voyait disparaître en elles les derniers représentants de l'originalité écossaise. Si les caractères avaient ce relief dans la société polie et jusque dans les salons d'Edim- bourg, ils étaient plus accentués dans les classes moyennes et dans le peuple. Les personnalités étaient intéressantes jusqu'au fond de la nation. Par suite de leur éducation, de leur habitude de lire et de discuter, les paysans écossais n'étaient nullement ces animaux farouches et stupides, qui, dans d'autres pays, cultivaient le sol. Us étaient plus instruits que la plupart des bourgeois ne l'étaient ailleurs. Les moindres villages conte-

1 Lord Cockburn. Memorials of His Time, pages 50 et suivantes.