Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/21

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Il la pénètre même plus profondément parce qu'il est mêlé à ses plaisirs ou désirs subalternes. On ne conçoit ])as ce que serait un esprit sans lui. Ceux mêmes qui en nient l'importance, en raillent la poursuite et en proscriraient l'enseignement, verraient leur routine quotidienne s'écrouler, disloquée et détruite, si on l'en retirait. Le bien-être le plus matériel se découqjoserait. Car que sont la richesse, le luxe, peut-être même l'ivresse, sans les jouissances esthétiques qu'elles évoquent sous une forme inférieure. On n'imagine pas la dévastation que causerait dans un peuple l'anéantissement de ce rayon. Il ne lui resterait plus de raison de vivre que le sentiment religieux qui aspire à la mort.

Dès lors, c'est un reproche sans prise de dire que cette critique est changeante et variable. Elle repose sur le sable mouvant de l'esprit humain, non sur un roc. Mais si elle n'est pas absolue, elle est nécessaire. Elle est un aliment. Elle se modifie comme le blé qui nous nourrit, l'air que nous respirons, les Heurs dont la fragilité nous enchante et l'astre souverain qui nourrit tout cela et nous-mêmes. Ne vivons-nous pas au milieu de choses mobiles ? Au moyen d'elles, n'atteignons-uous pas la plénitude de notre être, et quelques-uns des hommes n'accomplissent- ils pas la beauté suprême dont la race est actuellement capable? Le vrai lui-même ne dérive-t-il pas? Il nous semble stable parce que nous sommes très brefs dans une de ces longues habitudes de la nature que nous prenons pour l'éternité. Encore qu'il en puisse coûter à certains esprits de reconnaître que nos jugements d'art n'ont rien de définitif, que cela ne les empêche pas de saisir le plaisir et, j'oserai dire, de remj)lir le devoir d'admiration. Les montagnes et les tleuves que nous contemplons, entre les contemplations de nos ancêtres et celles de nos fils, changent, nous le savons. Ces sommets s'abaissent, désagrégés par les gels, les pluies et les soleils, et de leur effritement les cours d'eau lentement sont comblés ; ces grandioses objets de nos enthousiasmes s'amoindrissent et disparaîtront. Cependant ils se modifient avec assez de lenteur pour que leur culte ait, vis-à-vis de nos rapides passages, une sorte d'immutabilité. Notre devoir est, tandis que nous vhons, d'aspirer l'air pur de ces pics et de ces plages, afin que nos corps soient sains et que ceux qui seront issus de nos reins forment une race robuste. Ainsi des choses de l'esprit. Quelle que soit leur muance, elles durent assez pour que nous y puisions de quoi faire nos âmes plus fortes, plus délicates, ou moins grossières, afin que les esprits nés de nous et formés par nous aient un point de départ plus élevé. Nous avons besoin d'une admiration nourricière et active. Il faut vivre !

Les critiques, à quelque branche de l'art qu'ils se consacrent, ne sont que les pétrisseurs de ce levain et les distributeurs du pain sacré. Leur tâche est de découvrir le beau, de le fractionner, de le mettre à la portée de celui qui, jeté dans l'action ou appréhendé par le labeur, n'a point le