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Bien que les derniers vers aient un accent de brusquerie, la pièce, jolie poétiquement, est vague et faible comme expression de sentiments publics. Elle consiste presque entièrement en une description de nature qui servirait aussi bien à une pièce d'amour. On sent qu'elle ne porte sur rien. Ce n'était pas en Angleterre, mais en France, que le combat décisif était engagé. C'était sous la figure de la Révolution que la Liberté s'offrait alors aux hommes. C'était la Révolution française qui était l'expression de l'attente générale et le fait réel de l'époque. C'était à la condition de se passionner pour ou contre elle qu'on était de son temps, à quelque pays qu'on appartînt.

Cependant la vague met quelque temps à arriver jusqu'à lui. Il ne semble pas s'être inquiété d'abord de la commotion qui se préparait en France. Il était trop accaparé par ses passions et les nécessités de chaque jour pour sortir beaucoup de sa propre vie. Il était trop peu instruit pour s'intéresser au développement historique d'une époque ; ses lectures ne lui permettant pas de coordonner les événements, ils restaient pour lui particuliers, et ne le touchaient que s'ils se mêlaient à sa vie. La vue de nobles perspectives historiques ne le transportait pas, comme Wordsworth ou Coleridge. Enfin son esprit était, par constitution, trop précis, trop personnel, pour s'éprendre d'un rêve humanitaire. Il ne vivait pas parmi les abstractions. La Justice et la Bonté l'attiraient , mais dans des fai'ts particuliers, et non sous une forme générale. Il était donc moins disposé que des hommes instruits et méditatifs à s'enthousiasmer pour une Réforme lointaine et abstraite. Il est assez curieux de remarquer que , tant que la Révolution resta générale et conserva un aspect philosophique et doctrinaire, tant qu'elle demeura telle que la rêvaient Wordsworth et Coleridge , elle paraît lui avoir été indifférente. Il n'y a pas un vers de lui qui s'y rapporte.

C'est seulement quand elle devint violente, tragique, et vraiment popu- laire, quand elle perdit son aspect de Réforme humanitaire, pour prendre celui d'un drame, et qu'elle fut, non plus un exposé de principes, mais un conflit de passions ; en un mot, quand elle devint quelque chose de concret, qu'elle commença à l'attirer. Il s'éprit d'elle au moment où les esprits généraux et à principes commençaient à s'en détacher. Aussi de quel ton différent il en parle ! Les autres sont des philosophes historiques et des rêveurs, qui contemplent les choses de hauteurs sereines. Lui, a l'air d'un révolutionnaire engagé dans la lutte. L'idée générale disparaît, la passion du moment éclate, avec quelque chose de la colère et des fureurs de la rue. Et aussitôt la forme change. Ce n'est plus celle de la méditation, les belles et larges narrations de Wordsworth ; ce n'est plus celle de l'enthousiasme intellectuel, l'ode philosophique de Coleridge. C'est la forme courte, pressée, ardente, la chanson populaire faite pour être chantée par la foule, et rythmer une marche de révolte. Il est impossible de lire, même dans