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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/305

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encore. II semble qu'il n'y ait plus rien. Les pièces sont dépouillées du moindre contenu intellectuel , elles sont vides. Tout s'en est retiré , images, idées, couleur. Que leur reste-t-il donc? La passion. Elles tremblent d'une flamme invisible. L'effet est insaisissable et pénétrant. Cela ne peut se comparer qu'à l'émotion que le frémissement de la voix- donne à des mots insignifiants. Et ces pièces si simples ne se laissent pas lire sans contraindre la voix à changer d'expression à chaque vers, et sans parfois la charger d'attendrissement. Qu'on prenne , par exemple . la pièce suivante :

Oh ! veux-tu venir avec moi, douce Tibbie Dunbar ?

Oh ! veux-tu venir avec moi, douce Tibbie Dunbar?

Veux-tu partir sur un cheval ou dans une voiture,

Ou marcher à mes côtC's, oh ! douce Tibbie Dunbar

Peu m'importe ton père, tes terres et ton argent,

Peu m'importe ta race haute et seigneuriale !

Dis seulement que tu veux m'avoir pour heur ou malheur,

Et viens dans ton petit manteau, douce Tibbie Dunbar ! *

Ce n'est rien, et, dans l'original, cela est ravissant. Presque tout l'effet est dû à l'habile répétition et au retour caressant du nom propre. Sans doute, il est difficile de se rendre compte du charme qu'a ce retour. Tout est dans l'inflexion musicale et sa douceur. Il faut pour cela se mettre en mémoire des effets analogues, se répéter la musique de certaines syllabes, se souvenir de certains vers de nos propres poètes, rendus mélodieux par un nom de femme, se dire, avec Ronsard :

Marie, qui voudrait retourner votre nom ? Il trouverait aimer \

ou avec André Chénier :

Camille ! lamour aime lasolilude. Ce qui n'est point Camille est un ennui pour moi. . . Camille est un besoin dont rien ne me soulage ; Rien à mes yeux n'est beau que de sa seule image. Sur l'herbe, sur la soie, au village, à la ville, Partout, reine ou bergère, elle est toujours Camille 3.

OU avec Victor Hugo :

Thérèse la duchesse à qui je donnerais, Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde, Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ; Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant *.

1 Tibbie Dunbar.

~ Ronsard Les Amours, Marie.

3 André Chénier. Elégies. Livre ii. 7.

4 V. Hugo. Les Contemplations . La Fête chez Thérèse.