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CHAPITRE IV. LE SENTIMENT DE LA NATURE DANS BURNS.

CE QUE BURNS A VU DE LA NATURE.

Si jamais poète a vécu au sein de la nature ce fut Burns. On peut dire

qu'il a été élevé par elle. Il a passé son existence, non seulement à la

contempler mais à la travailler, à lui donner sa sueur et ses pensées, à

recevoir d'elle des récompenses ou des angoisses. Il a été celui dont parle

le poète,

exercetque frequens tellurem atque imperat arvis i.

Il est curieux de rechercher comment il a su l'aimer. C'est une étude qui a d'autant plus d'intérêt que Burns peut être regardé comme le représentant des hommes de sa classe ; il a exprimé avec conscience et clarté ce que ressentent obscurément, confusément, depuis des siècles, une grande quantité d'hommes qui labourent et remuent la terre. Il se peut même qu'il exprime plus encore et que, par la singularité unique de son éducation, il nous ait rendu un mode de comprendre la nature, très primitif, depuis longtemps abandonné par la poésie, parce que la forme agricole de société ayant disparu, ou plutôt ayant été recouverte par d'autres formes : militaire, religieuse, industrielle, il y a longtemps que les poètes n'écrivent plus pour les paysans, et plus longtemps encore que les paysans ne sont plus poètes. Par un accident unique, Burns nous rendrait donc une façon très ancienne de sentir la nature. Ce n'est pas qu'on ne puisse trouver, dans des vers d'autres paysans, des traces d'un sentiment pareil, mais ce sont des ébauches grossières et gauches qui demeurent à l'état de bégaiement obscur. Lui seul a fait des sentiments d'un paysan des œuvres d'art. Essayons donc de déterminer ce qu'il a su voir de la nature que sa contrée lui a présentée, pendant ses voyages aussi bien que pendant ses années de résidence, et comment il l'a vue,

Burns n'a pas compris les paysages des Hautes-Terres d'Ecosse, dans leur splendeur ou leur mélancolie puissantes. Il a pourtant vu, car il les

1 Virgile. Georgiques.