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maison à St. Roch, où nous irions demeurer ensemble le premier mai. Il m’apprit aussi qu’il était sur le point de se marier avec une jeune fille canadienne, dont il me dit être beaucoup épris. »

« Cambray fesait alors quelque bruit parmi les gens de sa classe par son faste, ses dépenses et ses nombreuses entreprises. On s’étonnait qu’un jeune homme, qui venait d’entrer dans le commerce, eût tant d’argent et parût presque nager dans l’aisance. Il avait beaucoup d’amis et était vu et estimé de personnes très respectables. »

« Cambray peut être environ de mon âge, moins grand, mais plus robuste que moi. À cette époque il était d’une beauté et d’une force peu communes. Une belle tête, des traits réguliers, un cou bien fait, de larges épaules, une démarche aisée préviennent d’abord en sa faveur. Il a des manières engageantes, l’esprit souple, la physionomie presque douce et prévenante, quand il n’a intérêt que de vous séduire et de vous tromper ; mais quand de fortes passions l’agitent, quand il rêve un complot, quand il veut, non pas éviter, mais renverser les obstacles, alors le masque d’hypocrisie qui couvre habituellement sa figure tombe, et vous montre un phantasme effrayant ; son œil étincelle et se cave, son front se couvre de longs replis, les fibres de son visage se crispent, battent avec violence et menacent de se rompre ; ses lèvres minces deviennent livides et tremblantes, et sa bouche à demi ouverte et tiraillée convulsivement et tour-à-tour d’un côté et de l’autre, laisse entrevoir un affreux grincement de dents. Sa belle et large figure, molle et épanouie dans le repos, ainsi décomposée par la passion, agitée, tiraillée par des nerfs de fer, semble un squelette décharné, sorti de la tombe, se glissant, la fureur dans l’âme, le long d’un mur glacé, cheminant à petit pas dans les ténèbres vers une alcove mystérieuse, là, où dans le plus heureux temps il buvait à la coupe du bonheur, là où repose dans les bras de la volupté le lâche qui le poignarda et qui viole sa couche, là où il vient faire sonner à l’oreille de son assassin des paroles de sang, et le mordre à la gorge jusqu’à la mort. Cette peinture paraîtra peut-être chargée à ceux qui n’ont point vu cet homme violent dans les accès de sa rage, à ceux qui ne l’ont point vu méditer un complot, à ceux qui ne l’ont point vu dans l’exécution d’un crime à la lueur vacillante d’un fanal sourd, à ceux qui n’ont point comme moi soutenu le coup d’œil poignardant dont il m’a fixé de la barre des criminels, au moment où j’ai été amené devant la Cour pour déposer contre lui. Vous le verrez dans son cachot, dans l’agonie de la rage, du désappointement et de l’incertitude, et vous jugerez si cet homme a des passions et du caractère, et si sa physionomie en est le fidèle miroir, quand il n’a pas intérêt de se déguiser. Mais la plus forte, presque la seule passion de cet homme, celle qui le maîtrise, et d’après laquelle toutes ses autres passions sont modelées, le levier puissant qui donne l’impulsion à son organisation énergique, c’est l’amour du gain, le désir