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il survenait une de ces nuits obscures et pluvieuses, qui font dormir la sentinelle dans sa guérite et favorisent les entreprises criminelles, nous nous mettions à l’œuvre tout de bon, et en peu de temps huit portes étaient ouvertes, un plafond était coupé, un mur démoli, une échelle de cordes tendue, et à l’instant où nous allions être en liberté, quand il ne restait plus qu’à dire : « Eh bien ! êtes-vous prêts ? partons ! » une voix malencontreuse jetait l’alarme, un piquet de soldats investissait la place, et chacun de nous de rentrer et de se blottir dans son lit, pour s’épargner la correction. Il est bien étonnant qu’il soit presque impossible de comploter une évasion, sans que les geoliers en soient infailliblement informés à temps. Nous sommes trop de monde ensemble, il y a toujours un traître parmi nous, qui, pour obtenir une faveur, peut faire pendre tous ses camarades. Mais nous savons bien nous venger de ces trahisons, et gare à l’espion que le soupçon peut atteindre ; nous lui fesons payer cher ses petites faveurs. Cambray surtout était inexorable, et le geolier fut contraint de séparer de nous quelques-unes de ses victimes, auxquelles il fesait souffrir un martyre perpétuel. — Depuis que je suis en prison il y a eu plusieurs tentatives d’évasion qui ont toutes été infructueuses. La plus hardie peut-être est celle de Cambray. Un jour que nous étions plusieurs dans la cour, et que la porte s’en ouvrit pour laisser entrer un voyage de bois, il se précipita dans la rue, renversa le charretier et la sentinelle, et allait s’échapper, quand, arrêté dans sa marche par la voiture, il fut appréhendé par un peloton de soldats appelés à temps. Mais la mieux concertée de ces entreprises est celle qui eut lieu il n’y a pas bien longtemps. Un des prisonniers, et c’est Mathieu qu’on accuse d’avoir pris cette liberté, avait fait des fausses clefs de bois pour toutes les portes de la prison, voire même pour la porte du dehors. Tous les arrangemens étaient pris pour faire une délivrance générale, et la conspiration était à l’abri de tous les soupçons. Provost, qui était à la tête de l’entreprise, devait ouvrir pendant la nuit les portes de toutes les chambres, réunir les prisonniers dans un passage, descendre doucement ouvrir la porte du dehors, donner le signal du départ, faire entrer sans bruit toute la bande dans le vestibule, armer les plus déterminés des fusils de la garde, et les faire défiler tous dans la rue, avec la détermination de tuer la sentinelle à son poste, si elle bronchait. Ce plan fut en partie effectué, et tandis que toute la petite armée, rangée dans les passages, attendait avec impatience le signal de Provost, descendu pour ouvrir les portes, ce dernier, qui est un des criminels condamnés à la déportation, et qui aurait voulu faire commuer sa sentence, alla donner l’alarme au geolier et se faire un mérite de sa trahison. Il a pour cela obtenu des faveurs et les moins coupables ont été jetés dans les cachots. C’est un bien méchant homme que ce Provost. Il mérite bien d’être déporté, et je me flatte qu’il le sera. »

« Nous n’avions pas seulement pour compagnons des hommes entièrement perdus de mœurs et de caractère : quelquefois la haine, les préjugés, un soupçon aveugle jetait parmi nous un innocent ou un novice dans