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le ventre, comme M. Soulié nous peint son farceur Gangrenet ; Charland, voleur redouté sur les Plaines, et prisonnier chéri de ses gardiens ; Charland, hardi et sanguinaire dans l’action, mais doux, jovial, aimable, et drôle dans la géôle ; enfin Charland, filou et assassin, parce que ce métier lui plaît, et qu’il ne veut faire autre chose.

— « Voyez-donc, » dit-il, s’adressant au guichetier avec un air de compassion, et lui montrant un jeune homme qui n’avait sur le corps qu’un méchant pantalon, et dont tout le buste était à nu, « voyez-donc ce pauvre enfant, comme le voilà ! Est-ce que vous ne pourriez pas lui obtenir une chemise ? sachez que l’air est cru dans cette chambre-ci. »

« Qu’a-t-il fait de la chemise qui lui a été donnée hier ? » dit le guichetier.

— « Je ne sais ; elle était si mauvaise, elle sera tombée par morceaux. »

— « Eh ! bien, j’y penserai… »

En sortant, nous demandâmes au guichetier le motif de l’intérêt que Charland paraissait prendre à ce jeune homme.

« C’est, » me dit-il, « qu’il est le brigadier, c’est-à-dire le doyen, de sa chambrée, et qu’en cette qualité il se fait l’organe des autres : mais il a une autre raison peut-être ; souvent il arrive que les prisonniers cachent entre eux leurs vêtemens, pour s’en faire donner d’autres, et échanger les premiers pour du tabac et du rhum. Il y a quelques jours Charland s’enivra, en buvant des liqueurs dans une vieille pipe, dont un ami du dehors avait introduit le manche par une fente de la porte cochère. Il est presque impossible de les empêcher de communiquer avec les gens du dehors. Tous les jours nous leur enlevons des instrumens de tout genre, destinés à percer portes et murailles ; tous les jours, nous leur donnons des habillemens forts et solides, et ils sont toujours en lambeaux : c’est qu’ils se déchirent entr’eux. Il est bien difficile de contenir ces vieux troupiers du crime ; il n’y a pas jusqu’aux égoûts qui ne leur paraissent une route attrayante pour s’échapper. Mathieu est une fois resté trois jours dans les canaux, parcourant le Québec souterrain dans tous les sens, et visitant tous les trésors de Cloacine, pour trouver une issue, jusqu’à ce qu’il ait été saisi à une grille, non sans offusquer un peu l’odorat des connétables. »

De cette chambre nous passâmes dans celle des malheureux insensés, qui parcourent nos rues l’été, et que la police empêche ainsi de périr durant l’hiver, en les enfermant dans une prison, à défaut d’un asile que