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— « C’est un singulier corps, que Mathieu ; » dit Cambray, « il a l’air simple, mais il est profond ; il pense loin, lui. C’est un fait singulier qu’il ne vole que par plaisir : c’est chez lui une inclination, une envie qu’il a depuis l’enfance, et pourvu qu’il vole, il se soucie peu du butin. Tu comprends bien ce que je dis ; Mathieu ; n’est-ce pas le cas ? »

— « Non, je ne sais ce que tu veux dire. Je n’ai jamais pensé à cela ; je ne me donne pas la peine de raisonner là-dessus ! »

— « C’est comme tous ces jeunes gens, » ajouta Cambray, « qu’ils ont condamnés à la déportation : ils sont tous faits au vol comme aux premiers besoins de la vie. Ils sont une jolie bande, et le Capitaine, qui les emmènera, aura besoin d’être sur ses gardes. Cependant, moi avec dix hommes j’en viendrais bien à bout ; car je connais ces gens-là. Parmi eux tous il y en a peut-être deux ou trois qui auraient le courage de se mutiner ; mais la lâcheté de leurs compagnons, (car ces gens là sont presque tous des lâches,) les empêchera de ne rien entreprendre. Pour ma part, je ne voudrais pas pour beaucoup entrer dans aucun complot avec eux ; ils sont trop perfides et trop timides. Depuis que je suis en prison, chaque fois que j’ai voulu m’évader, j’ai été trahi, abandonné de ceux mêmes qui m’avaient proposé de faire le complot. Ah ! qu’ils me les ont bien payées ces trahisons ! Ils feraient mille complots à présent, que je n’en joindrais pas un. Tout l’hiver, ils ont fait de fausses clefs pour ouvrir toutes les portes, et ils n’ont pas osé s’en servir une fois pour se mettre en liberté. »

— « Oh ! oui, » dit Mathieu, « des clefs de bois ! On m’accuse de les avoir faites, mais à tort. J’en fais souvent, je m’en cache pas, mais ce n’est pas moi qui avais le mérite de celles-là. Il y en a bien d’autres qui travaillent comme moi. Que nous aurions fait une jolie sortie l’hiver dernier, si cet infâme Provost n’avait pas vendu le secret pour quelques faveurs ! Il avait le cœur trop mou pour un coup de main comme cela. La plupart des prisonniers que nous avons avec nous ne sont capables de rien ; cinq ou six avaient trouvé le moyen d’ouvrir leur chambre, et de descendre chaque nuit dans la cour. Enfin ils ont été découverts, enchaînés, mis dans les cachots. Ils n’ont pas été assez punis pour leur lâcheté. Comment ! descendre chaque nuit grelotter dans la cour, regarder la lune, compter les étoiles, et au lieu d’avoir une fois le courage de sauter pardessus les murs et de se sauver, revenir à leur chambre tout transis avec de fades excuses à la bouche : — « il fait trop froid ; nous avons vu la sentinelle ; nous ne savions où aller ; demain nous serons plus braves. » C’est lâche, ça mérite douze mois de cachot ! Je regrette bien aujourd’hui de n’avoir pas voulu me mêler de déserter : je le pouvais. Si j’avais su que cette affaire-là m’arriverait… »