Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/122

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et là par la grâce ou l’éclat d’un style imagé. On y notera au passage l’éloge de la mesure, qualité hautement prisée des troubadours.

J’ai le cœur si plein de joie que tout me paraît changer de nature ; il me semble que le froid hiver est plein de fleurs blanches, vermeilles et claires. Avec le vent et la pluie croît mon bonheur ; c’est pourquoi mon chant s’élance et s’élève et mon mérite grandit. Car j’ai au cœur tant d’amour, de joie et de douceur, que l’hiver me semble plein de fleurs et que la neige m’apparaît comme un tapis de verdure.

Je puis aller sans vêtements, car l’amour parfait me protège contre la froide bise. Celui-là est fou qui s’emporte et ne garde pas la mesure. C’est pourquoi je me suis surveillé depuis que j’ai recherché l’amour de la plus belle…

J’ai placé si bon espoir en celle qui me secourt si peu que je suis balancé comme le navire sur l’onde.

Je ne sais où fuir pour éviter les malheurs qui m’accablent. D’amour me vient tant de peine que l’amant Tristan n’en eut pas d’aussi grande d’Iseut la blonde.

Ah ! Dieu, si je pouvais ressembler à l’hirondelle et venir dans la nuit profonde là-bas vers sa demeure ! Noble dame gaie, votre amant a bien peur que son cœur ne se fonde, si ce tourment dure. Dame, devant votre amour je joins mes mains et je prie…

Il n’est au monde nulle chose à laquelle je pense autant. J’aime tant à me représenter ses traits qu’aussitôt qu’on en parle je me retourne et mon visage s’éclaire de joie : je suis alors sur le point de me trahir. Et je l’aime d’un amour si parfait que souvent je pleure, trouvant dans les soupirs plus de saveur.

Messager, cours et va dire à la plus belle ma peine, ma douleur, mon martyre[1].

Mais il était écrit que l’éclat de sa renommée poé-

  1. M. W., p. 23.