Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/208

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est pas apparu au milieu des tonnerres et des éclairs, armé du « glaive de la Loi ». Ils le considèrent comme une sorte d’ami très haut placé, très puissant et très pitoyable aux poètes, surtout aux poètes d’amour. Ils l’invoquent avec beaucoup de familiarité et souvent avec quelque inconscience. Une aube célèbre de Giraut de Bornelh commence par une invocation d’un ton élevé et grandiose : « Roi glorieux, vraie lumière et vraie clarté, seigneur tout-puissant… » Et que demande-t-il à ce Dieu ainsi invoqué ? tout simplement de veiller sur un rendez-vous amoureux ; et c’est pour la tranqu’illité des deux amants que lui-même n’a cessé de prier toute la nuit « à deux genoux ».

Par suite de cette conception il n’est pas rare qu’un troubadour demande à Dieu de fléchir le cœur d’une amante trop rigoureuse ; c’est par exemple dans cette intention qu’Arnaut Daniel fait brûler des cierges et fait dire et entend « mille messes »[1]. Même quelques troubadours, comme le comte d’Orange ou Peire Vidal, vont jusqu’à demander à Dieu aide et protection pour l’accomplissement de leurs désirs les plus sensuels.

Comme aux temps du Paganisme, la divinité n’est pas seulement indulgente aux faiblesses (dans la plupart des religions, à tout péché miséricorde), mais elle est complice de ces faiblesses. Nous connaissons même la conception que les troubadours se sont faite du Paradis ; ils se le sont représenté comme un lieu de délices, où des poètes toujours jeunes et toujours

  1. Arnaut Daniel, Parn. occ., p. 257.