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n’ose aller, tellement je redoute la mauvaise gent jalouse qui devine avant qu’arrivent les biens d’amour ; Dieu les maudisse ! À maint amant ils ont causé tristesse et dommage ; mais j’ai ce cruel avantage qu’il me faut vaincre mon cœur pour leur obéir[1].

Voici une autre de ses chansons dont le début paraît être une traduction des troubadours.

Quand l’été et la douce saison font reverdir feuilles, fleurs et prairies et que le doux chant des menus oisillons ramène la joie dans les cœurs, hélas ! chacun chante, mais moi je pleure et soupire ; et ce n’est ni justice ni raison ; car je mets toute ma volonté, dame, à vous honorer et à vous servir.

Si j’avais le sens de Salomon, Amour me ferait tenir pour fou ; car les chaînes qu’il me fait sentir sont si fortes et si cruelles ! Amour devrait bien m’enseigner les moyens de me sauver ; car j’ai aimé longtemps en vain et j’aimerai toujours sans me repentir.

Je voudrais savoir sous quel prétexte elle me fait si longuement languir ; je sais fort bien qu’elle croit les méchants, les médisants (losengiers) que Dieu maudisse ! Ils ont mis toute leur peine à me trahir. Mais leur trahison mortelle leur servira de peu, quand ils sauront quelle sera ma récompense, ô dame, que je n’ai jamais su trahir…

Si vous daignez écouter ma prière, je vous prie, douce dame, de penser à me récompenser ; quant à moi je vous servirai mieux désormais. Je tiens pour non avenus tous mes maux, douce dame, si vous voulez m’aimer. En peu de temps vous pouvez me donner les biens d’amour que j’ai tant attendus ![2].

La chanson suivante est du trouvère Gace Brulé, cité par Dante[3] ; elle paraît elle aussi une traduction d’une chanson des troubadours. On y

  1. Ibid., p. 164.
  2. Ibid., p. 163.
  3. Dante, De vulg. Eloq. d’après Grœber, Grundriss, II, 1, p. 677. Dante attribue d’ailleurs la chanson à Thibaut de Champagne, ibid., p. 683.