Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/44

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sauvage et orgueilleux. Et le troubadour Guillem de Capestang faisait de belles chansons sur la dame de son seigneur. Celui-ci l’apprit et un jour, rencontrant le troubadour à la chasse, il le tua. Ensuite il lui enleva le cœur et le fit porter par un écuyer à son château. Il le fit rôtir avec du poivre et le donna à manger à sa femme. Et quand elle l’eut mangé, le seigneur lui dit ce que c’était, et elle en perdit la vue et l’ouïe. Revenue à elle, elle lui dit « Seigneur, vous m’avez donné un si bon mets que jamais je n’en mangerai de semblable. » Il voulut la frapper, mais elle se précipita du haut de sa fenêtre et se tua. La cruauté du seigneur de Castel-Roussillon et le suicide de la dame causèrent une grande tristesse dans le pays. « Tous les chevaliers de la contrée, tous ceux qui étaient jeunes, se réunirent, le roi d’Espagne se mit à leur tête et le comte fut pris et tué. » Les corps des deux victimes furent portés en grande pompe dans l’église de Perpignan. Tous les ans avait lieu un pèlerinage et les parfaits amants priaient Dieu pour leur âme.

C’est là, sous sa forme provençale, le roman du Châtelain de Coucy[1], poème du xiiie siècle, comme la biographie de notre troubadour. Ce n’est pas le lieu de chercher ici si le récit a un fondement historique ou si, comme cela est plus vraisemblable, il n’est pas une variante d’un conte populaire.

Opposons à cette légende une des plus gracieuses et des plus touchantes que le biographe nous ait transmises. C’est celle dont le troubadour Jaufre Rudel,

  1. Cf. sur le châtelain de Coucy, G. Paris, La Littérature française au moyen âge, § 128, et Esquisse historique… § 135.