Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/84

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le poète entonne en son honneur, et qui est une de ses productions les plus réussies suppose naturellement l’existence de la chose et du mot[1]. »

Voici quelques strophes de cet hymne :

Plein d’allégresse, je me plais à aimer une joie à laquelle je veux m’abandonner ; et puisque je veux revenir à la joie, il est bien juste que, si je puis, je recherche le mieux (l’objet le plus parfait)…

Jamais homme n’a pu se figurer quelle est (cette joie), ni par le vouloir ou le désir, ni par la pensée ou la fantaisie ; telle joie ne peut trouver son égale, et celui qui voudrait la louer dignement ne saurait, de tout un an, y parvenir.

Toute joie doit s’humilier devant celle-là ; toute noblesse doit céder le pas à ma dame à cause de son aimable accueil, de son gracieux et plaisant regard ; celui-là vivra cent ans qui réussira à posséder la joie de son amour.

Par la joie qui vient d’elle le malade peut guérir et sa colère peut tuer le plus sain ; par elle le plus sage peut tomber dans la folie, le plus beau perdre sa beauté, le plus courtois devenir vilain, le plus vilain courtois.

On croirait lire un troubadour de l’époque classique pendant laquelle la doctrine de l’amour courtois fut définitivement fixée. Cependant cette pièce forme une exception dans l’œuvre de Guillaume de Poitiers et c’est chez ses successeurs qu’il faut chercher la vraie doctrine. En voici les principaux traits.

Dans la poésie courtoise des troubadours, l’amour est conçu de très bonne heure comme un culte, presque comme une religion. Il a ses lois et ses

  1. Cf. Poésies de Guillaume IX, comte de Poitiers, éd. Jeanroy, Paris, 1905.