Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/91

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Peire Raimon de Toulouse, que je veux vous adresser une prière, dame ; mais quand je suis près de vous, je perds le souvenir. » « Quand je l’aperçois, avoue Bernard de Ventadour, on voit à mes yeux et à la couleur de mon visage que je tremble de peur, comme la feuille agitée par le vent ; je suis si conquis par l’amour que je n’ai pas plus de sens qu’un enfant. » « Je n’ose lui montrer ma douleur quand il m’arrive de la voir, dit à son tour Arnaut de Mareuil ; je ne sais que l’adorer. » Ce sont là quelques-unes des plus caractéristiques parmi les déclarations des troubadours ; ce ne sont pas les seules ; elles sont presque un lieu commun, souvent rajeuni par la fantaisie individuelle.

Éloignés de leur dame les troubadours sont plus éloquents ; mais ils n’en restent pas moins discrets et timides, sachant qu’il est de très mauvais ton, pour un amoureux parfait, de ne savoir modérer ses désirs. Il n’est pas rare d’ailleurs que plus d’un se console de cet éloignement et n’y trouve même quelque charme. Le troubadour suppose qu’un lien mystérieux, qui ne tient aucun compte de l’espace, l’unit à sa dame[1]. Un des plus élégants représentants de la poésie provençale, Bernard de Ventadour, s’exprime ainsi : « Dame, si mes yeux ne vous voient pas, sachez que mon cœur vous voit. » Le début d’une autre de ses chansons est célèbre : « Quand la douce brise halène de vers votre pays, il me semble que je sens une odeur de paradis, pour l’amour de la gentille dame vers qui va mon cœur. »

  1. Diez, Poesie der Troubadours, p. 135.