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Page:Anglas de Praviel - Scènes d’un naufrage ou La Méduse.djvu/24

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C’est un ancien usage de célébrer ce passage par des cérémonies assez bizarres, qui n’ont pour principal but que de fournir aux matelots, diversement déguisés en dieux marins, l’occasion de recueillir de l’argent des passagers, se rachetant ainsi de l’immersion dont ils sont menacés. La vigilance s’était endormie, et sans l’officier de quart, M. Lapérère, qui aperçut la terre et s’empressa de virer de bord, nous tombions dans des écueils composés de rochers qui s’étendent demi-lieue au large. C’était le golfe Saint-Cyprien, touchant au Cap-Barbas, situé par 19° 8m de longitude et 23° 6m de latitude. Cette sage manœuvre, à laquelle nous dûmes notre salut, lut cependant blâmée par le capitaine, qui ne savait pas commander. L’esprit d’erreur et de contradiction commençait à se répandre parmi nous.

M. Correard, voulant sortir de l’isolement dans lequel le laissaient les passagers, se mit alors à nous faire la description de la côte, dont nous n’étions éloignés que de cinq à si cents mètres. La crainte que lui inspirait la vue de quelques Maures, que le voisinage de cette côte nous permettait de distinguer, avait fortement monté son imagination. Il se croyait déjà esclave et conduit au Maroc ou à Tombouctou. Vint ensuite le docteur Astruc, qui nous faisait les prédictions les plus sinistres, ne se gênant pas pour nous crier ; Nous allons périr. D’un autre côté, il était curieux de voir à tribord le capitaine Chaumareys se promenant gravement sur