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SA VIE — SES ŒUVRES

le plus souvent peu explicables. Il est haché, divisé et se perd dans un chaos d’événements politiques d’une obscurité glaciale et dans les méandres d’une action sans lien visible et direct avec ces évènements. On ne retrouve point le xvie siècle avec ses grands vices et ses grandes vertus, avec ses figures énergiques et saillantes. Condé est si follement amoureux, si léger, si compromettant, que l’on s’étonne de voir les huguenots le garder comme chef de parti. C’est un mélange singulier d’héroïsme, d’étourderie et de faiblesse qui surprend outre mesure.

Madame de Montarcy et la Conjuration d’Amboise eurent du succès. Cette dernière pièce fut représentée plus de cent fois. L’accueil fait par le spectateur à ces deux drames s’explique assez facilement. C’était en quelque sorte une nouveauté qu’une pièce vraiment littéraire aux idées élevées, aux sentiments honnêtes, au style souvent rempli de noblesse. On était heureux d’être délivré pour un instant des prétendues peintures de la vie contemporaine et de revenir, grâce à la magie d’une poésie harmonieuse, aux jours passés de notre histoire. Comme Madame de Montarcy, Madame de Brisson est une héroïne touchante. Poltrot de Méré est bien le voyant, l’illuminé que le fanatisme conduira bientôt au crime. La Bible dans une main, l’épée dans l’autre, il n’épargne point les adjurations. Sa parole pleine d’images sacrées et son éloquence farouche de sectaire font un heureux contraste avec la jovialité narquoise de Gonnelin. François ii hébété, souffreteux, docile instrument des Guises, et Marie Stuart pleine de grâce, de vie et de jeunesse, apparaissent entourés de je ne sais quelle âpre poésie qui rappelle certaines inspirations de Shakespeare. Le succès de Madame de Montarcy et de la Conjuration se justifie donc naturellement. Si le procédé de composition du poëte était