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SA VIE — SES ŒUVRES

Bouilhet. Notre poëte n’eut point l’heureuse fortune de l’auteur des Nuits ; il ne vint pas à cette heure privilégiée pour faire sa trouée dans la mêlée littéraire. Le grand concert romantique était fini depuis longtemps, les adeptes du Cénacle et les auditeurs étaient dispersés ; l’attention publique était tournée d’un autre côté ; le système de réforme du Théâtre, préconisé et pratiqué par Victor Hugo, avait déjà depuis longtemps porté ses fruits et avait été définitivement jugé. Venu plus tôt, Bouilhet aurait pu, au Théâtre, prendre place à la suite de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, et d’Alfred Vigny. Il aurait partagé leurs labeurs et leur gloire. Le hasard le fit naître dans une autre génération ; et, tout seul, il eut la singulière fortune, pour parler comme Théophile Gautier, de relever la bannière romantique qui gisait dans la poussière après tant de combats.

Il ne tarda pas à être attiré vers la poésie dramatique, cette forme de la pensée qui se rapproche le plus des arts plastiques. Melœnis l’avait recommandé, mais cette aube de renommée ne lui suffisait point. La poésie pure ne lui paraissait point une arme assez forte pour marcher à la conquête de la célébrité. Il sentait bien que le Théâtre est une puissance créatrice plus forte que les livres ou les gazettes, une puissance planant au-dessus des événements, se distribuant à l’infini par des milliers d’interprètes, possédant le relief, la couleur, la répétition quotidienne, régulière et animée de la pensée. Un matin, il se réveilla auteur dramatique. N’est-il pas naturel qu’il ait subi cet attrait irrésistible de la scène, cette sirène, ce monstre qui a dévoré tant de poëtes ? Gustave Flaubert, son ami, ne l’a-t-il pas subi lui-même ? La poésie pure ravira quelques esprits d’élite ; elle aura ses fervents, mais aura-t-elle jamais l’éclat de la poésie dramatique que viennent illuminer les feux de la rampe ! Le Théâtre ! C’est la réalisation