Page:Angot - Louis Bouilhet, 1885.djvu/129

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l’étude plus ou moins sincère de la corruption effrontée ou de la niaiserie prétentieuse. On voulait sympathiser avec le poète dont le talent plein de verdeur annonçait une sévérité de bon goût, la pratique des grands modèles et l’éloignement d’une littérature qui abêtit ou qui énerve.

Telle fut l’une des causes du premier succès de Louis Bouilhet, succès qui lui ouvrit un jour les portes de la Comédie Française et le fit le poëte favori du parterre de l’Odéon. Aujourd’hui que les derniers échos des applaudissements qui saluaient naguère son nom au Théâtre se sont assoupis, il n’est pas sans intérêt de juger dans son ensemble, l’œuvre dramatique de Louis Bouilhet, de se demander ce qui fit sa force et ce qui fit sa faiblesse.

La jeunesse ! c’est un privilège que presque tous ont eu en partage, au moins un instant, mais que bien peu savent conserver. Et par jeunesse, il faut entendre l’enthousiasme pour les belles choses, la poursuite ardente et acharnée du Vrai, les ravissements délicieux du cœur ou de l’esprit qui s’abandonne au charme des grands sentiments et des grandes idées, les délicatesses de la pensée, l’insurmontable dégoût pour les bassesses de Tart, l’éloignement pour ce qu’on a appelé le métier. S’il est vrai qu’on puisse ainsi comprendre la jeunesse, Bouilhet l’eut pour lot jusqu’à la fin de sa vie, en dépit des strophes désolées qui terminent les Dernières chansons. C’est grâce à ce don précieux qu’il charma un parterre de jeunes gens dont l’âge est l’âge même de la poésie ; il leur parla admirablement, comme dit un critique, une langue que presque tous ils avaient bégayée ; il les enchanta comme un maître de leur art et un magicien qui montre des merveilles. À leur imagination avide il offrit un aliment, à leurs vagues amours il présenta des idoles, à leur cœur sans emploi il donna un objet d’affection idéale. Les jeunes gens